Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Aznavour intime

Il soufflera ses 94 bougies le 22 mai prochain. Le grand Charles, dont la dernière chanson s’intitule Vivre vieux, n’a jamais eu autant d’énergie. Il nous a accueilli chez lui, dans les Alpilles

-

Le chanteur, qui va fêter ses  ans le  mai, nous a ouvert les portes de sa résidence de Mouriès. Charles Aznavour évoque ses amis, ses amours et ses projets. Une rencontre en toute intimité.

R

endez-vous est pris dans un village des Alpilles. Charles Aznavour nous reçoit dans la villa provençale qu’il occupe quatre mois dans l’année, vivant la plupart du temps en Suisse, au bord du Léman. Villa confortabl­ement équipée où l’on trouve salle de musique, bibliothèq­ue et vieux zinc, mais aussi couloir de natation et gymnase. Tout ce qu’il faut pour entretenir à la fois l’esprit, l’amitié et la forme. Ce monument de la chanson française se produira le  juin au Grimaldi Forum, à Monaco. Pour deux heures de show! Il se réjouit à l’idée de surprendre ses aficionado­s avec quelques titres méconnus de son répertoire, mêlés aux immenses succès dont sa carrière a été jalonnée depuis que la «Môme Piaf » l’a repéré en . Avant de nous embarquer pour un tour en « golf car » de sa propriété plantée d’un millier d’oliviers, point complet sur ce que la vie a encore à lui donner. Copains, amours, voyages, emmerdes, grand âge, postérité. Toujours en haut de l’affiche à la veille de ses  ans, le grand Charles fait preuve d’un entrain peu commun.

Le public, dites-vous, a la mauvaise habitude de ne vouloir entendre que les chansons qu’il connaît…

C’est vrai. Et moi, je fais le contraire. Certaines chansons n’ont pas marché immédiatem­ent parce qu’elles n’étaient pas faites pour devenir ce qu’on appelle d’une manière assez vulgaire des «tubes». Moi, j’écris des textes forts. Je veux habituer les gens à écouter autre chose que de la chansonnet­te. Je n’ai rien contre, on peut en faire tout en ayant du talent: c’est un parti pris. Je continue à aimer Boum boum tralala, ça ne me dérange pas du tout. Mais pourquoi ne ferait-on plus que cela, alors que nous avons une si belle langue?

Mais votre répertoire, nous l’avons tous en tête!

Non. La Critique, vous ne connaissez pas. Ni L’Instant présent. Quand j’écris une chanson comme celle-là, ce n’est pas un «sujet». Mais je travaille dur. Je me donne du mal pour faire ce que les autres ne font pas. Je ne dis pas qu’ils ne savent pas le faire, mais ils ne le font pas. Ils vont au plus vite. S’ils sont obligés de sortir tant de morceaux pour un album, c’est foutu, ils ne font pas un effort de plus. Je ne parle pas en général; il y a quand même des gens qui font attention.

Parmi vos favoris, qui citeriez-vous aujourd’hui?

On en a perdu encore un récemment. Jacques Higelin, je l’aimais bien. Mais il y a aussi Matthieu Chedid, que j’ai tout de suite remarqué. C’est une belle pointure. Alors que je n’ai pas répondu quand on m’a posé la question sur Stromae. J’ai dit que je me prononcera­is dans cinq ans: on ne juge pas quelqu’un sur son premier disque.

À Monaco, quelles sont les chansons que vous ne pouvez pas ne pas interpréte­r?

Il y en a moins qu’on ne le croie. La Bohème. Emmenez-moi. Il faut savoir. Mourir d’aimer, bien sûr. Et Paris au mois d’août. Ou encore Non, je n’ai rien oublié. Sur un tour de chant qui compte vingt-huit titres, dix relèvent de ce que j’appelle en souriant ma descente aux enfers. Où les applaudiss­ements ne font qu’augmenter parce que ces chansons, tout le monde les attend. Je me souviens d’une discussion avec Michel Sardou, jeune chanteur à l’époque, dans sa loge à l’Olympia. Il pensait commencer avec ses succès avant de passer aux nouveautés. Je lui ai dit de ne surtout pas faire cette erreur: les gens risquaient de partir avant la fin. Pierre Delanoë, qui se trouvait avec nous, était bien d’accord avec moi. Quand je donne des conseils à un artiste, c’est sur le métier, jamais sur la scène. Làdessus, on n’a pas tous le même point de vue.

Entendra-t-on

Comme ils disent? Elle est incontourn­able, et dans le monde entier. J’ai cinq chansons planétaire­s, celleci en fait partie. Je ne l’aurais jamais pensé.

Texte audacieux à l’époque.

Audacieux, je l’ai été depuis le début. Après l’amour a été interdite. Tu t’laisses aller ne passait pas souvent. Le jour où une radio a été obligée de la diffuser parce qu’il manquait un disque, on en a vendu un million! J’aime beaucoup l’idée qu’une chanson ait une carrière tardive. Non seulement je surprends le public, mais je me surprends moi-même.

Votre carrière n’aura pas été tardive, mais longue. Très longue!

Elle a mis du temps à partir. On a dit que j’étais mauvais. Que je n’avais pas le physique. Ni la voix. Que mes chansons n’étaient pas faciles à entendre. Et alors, où ils sont tous ces connards? Je me rappelle être venu à Marseille, il y avait en première partie des jeunes gens, un peu comme dans un concours de chant. Un journalist­e a écrit que n’importe lequel d’entre eux était meilleur que moi. Faut le faire, quand même!

Comment avez-vous encaissé?

Demander un rectificat­if aux journaux, ce n’est pas une manière de répondre. Filer sa main sur la gueule des gens non plus. Pour les emmerder, j’ai fait ce qu’on appelle une carrière. Quand ils voyaient que j’étais demandé à travers le monde et que je recevais des prix prestigieu­x, comment pouvaient-ils se regarder dans le miroir? Je me demande… Mais je ne suis pas revanchard. La revanche, ça ne fait rien de bon dans la mentalité d’un artiste.

Aucun ressentime­nt à l’égard des critiques?

Pas du tout. Simplement, je trouve qu’ils ne faisaient pas bien leur métier. Un journalist­e qui dit du mal n’est pas un bon journalist­e. Mais un journalist­e qui ne dit pas du bien n’est pas un mauvais journalist­e. D’ailleurs, pas d’amalgame: je parle plutôt des critiques. Ils ont une oeuvre à accomplir, qui consiste à expliquer aux jeunes gens en quoi, peut-être, ils se trompent. Les critiques ne sont pas là pour démolir, mais pour construire. Moi-même, dans mon prochain bouquin, après toutes ces années je fais ce travail. En parlant des artistes que j’aime et qui ont réussi, Dieu merci.

À quand ce nouveau livre?

J’ai déjà le titre: D’où suis-je et où vais-je? Maintenant, on le lira… quand je l’aurai fini! Je n’étais pas fait pour écrire des bouquins et il y en a quand même eu six.

Pas mal, pour un diplômé de la rue…

Vous avez raison. Ça, je devrais le garder!

Piaf vous appelait «le génie con». Pourquoi?

Quand je faisais du «scat», elle disait que c’était des conneries. Alors j’étais devenu le génie con. Mais finalement, elle a tout accepté parce qu’elle avait confiance. Un jour, je l’ai même envoyée voir Johnny. Elle ne l’aimait pas et m’a dit: « Tu sais, je ne vais pas m’emmerder toute une soirée pour te faire plaisir.» J’ai répondu qu’elle ne s’ennuierait pas car ce garçon était très bien. À son retour, elle m’a donné raison. Quand j’ai raconté ça à Johnny, ça lui a fait un bien fou. Piaf était la plus grande et elle l’est toujours aujourd’hui. Dans le monde entier, on continue de reprendre ses chansons. Cela n’existe pour aucune autre.

‘‘ Les critiques ne sont pas là pour démolir” De la vie à la mort, du mariage au divorce”

 ??  ??
 ?? (Photo Franz Chavaroche) ?? Dans sa villa provençale des Alpilles où il réside durant quatre mois, passant le reste de l’année au bord du Léman, en Suisse.
(Photo Franz Chavaroche) Dans sa villa provençale des Alpilles où il réside durant quatre mois, passant le reste de l’année au bord du Léman, en Suisse.

Newspapers in French

Newspapers from France