Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
La Beaucaire « Ici, les coups de feu, c’est normal »
Dans la nuit du lundi au mardi, deux individus en scooter tiraient dans ce quartier de l’ouest-toulonnais. Habitants et commerçants livrent leurs regards sur cette flambée de violence
Mercredi après-midi, un lourd parfum se dégage des arbres en fleurs et des bambins filent en vélo entre les tours de la cité de la Beaucaire. Mais quand une habitante pénètre dans un des commerces du quartier pour faire quelques emplettes, ce n’est pas la pluie ou les rayons du soleil qui occupent la conversation. Non, aujourd’hui, ils ont laissé la place aux coups de feu tirés mardi, vers minuit et demi, par deux individus en scooter (lire notre édition du 6 juin). « Mon beau-frère était dehors à ce moment-là, il jouait aux cartes », glisse la jeune femme en attrapant son paquet de courses.
Double passage
Le duo a fait parler la poudre tout en remontant plein gaz l’avenue Albert-Camus. Deux balles de 9 mm se sont logées dans la vitrine d’une boulangerie, des dizaines de mètres plus loin. Rupture du jeûne du ramadan oblige, une trentaine de personnes étaient présentes devant le commerce… «J’étais devant la boulangerie ce soir-là, assure un adolescent rencontré au pied d’une tour. Les types étaient à bord d’un T-max. Ils ont tiré une première fois en descendant l’avenue, quatre ou cinq coups. Tout le monde s’est baissé! Une fois passés, on s’est dit que c’était bon, des gens ont commencé à se relever. Mais les gars sont revenus en remontant AlbertCamus et ont tiré à nouveau. Tout le monde s’est recouché par terre! » Dans cette fameuse boulangerie, la vitre de l’entrée a été traversée par les projectiles en plomb à environ un mètre du sol. Si les gens n’avaient pas eu la présence d’esprit de se baisser… «Moi, je me suis accroupie derrière le comptoir quand il y a eu les deux chocs, comme un réflexe », glisse la patronne de la boulangerie, installée depuis un mois. « C’est la troisième fois qu’ils viennent et qu’ils tirent, jure, en allumant un joint, un jeune homme aux longs cheveux foncés . La première fois, c’était il y a environ dix jours, à bord d’une Punto noire. Ensuite ils sont venus avec le T-max, puis ils sont revenus mardi… » Et à l’en croire, la lutte pour le contrôle du trafic de cannabis ne serait pas la seule cause de ces expéditions ressemblant fortement à de l’intimidation. « Le pilote et le tireur travaillent pour un gars qui a été rejeté par le quartier, c’est des rancoeurs personnelles. La drogue vient se greffer là-dessus. Et je ne pense pas qu’il va s’arrêter là… Les flics savent qui c’est, mais ils n’ont pas de preuves », avance-t-il.
Génies du crime ?
Dans une voiture sport, un jeune homme a la jambe immobilisée. Il dit avoir pris une balle la semaine dernière. À cause des trafics? « Non, non!», s’exclame-t-il sans en dire plus… Pour les autres habitants, reste à composer avec cette violence. « En février, ils ont même tiré dans mon immeuble et tapé aux portes. Il y avait du sang partout. J’ai peur pour mon fils, lâche une trentenaire. Il y a cinq impacts de balles dans mon appartement. J’ai fait une demande pour déménager. » « Le soir, je ne sors pas de chez moi», soupire un ancien moniteur de centre aéré. Avant de livrer son analyse sur le quartier. « C’est difficile pour les jeunes de trouver du boulot, et il n’y a rien à faire ici pour eux.
À la limite, je préfère qu’ils gagnent quelques sous en vendant de l’herbe plutôt qu’en piquant le sac d’une vieille dame…» Pour une autre, les odeurs de cordite font désormais partie du quotidien. «Ça fait plus de vingt ans que je vis ici, les coups de feu, c’est normal. Après, j’ai grandi avec tous ces types qui trafiquent. Ils se prennent pour des fous, mais c’est loin d’être des génies du crime… »