Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

«La bagarre a commencé après le débarqueme­nt normand»

A 94 ans, Victor Paban est l’un des deux seuls survivants du village à avoir connu la libération. Accrochage­s en série, prise du maquis… Il revient sur cette période trouble. Récit

- MATTHIEU BESCOND mbescond@nicematin.fr

Victor Paban est un vrai Aupsois. Et il n’en est pas peu fier. Du haut de ces 94 ans, l’homme affiche une forme olympique. Dernier survivant à avoir vécu la libération du village, le 19 août, avec Bruno Cioffi, son ami du même âge, il raconte les souvenirs qui lui restent de cette période. Le regard espiègle, la tête bien vissée sur les épaules. Les mots sortent à vive allure. Le débit est impression­nant. Une fois lancé, le nonagénair­e est intarissab­le.

Direction le maquis

Au moment du débarqueme­nt, Victor a tout juste 20 ans. «À l’époque, Aups n’était pas occupé par les Allemands, explique-t-il. On l’a juste été un peu par les Italiens pendant quelque temps. Mais c’est tout, on n’a pas été embêté. Ils sont restés un hiver. On jouait au foot avec eux… Ils n’étaient pas méchants. Le bataillon allemand le plus proche était à Salernes. Il y avait une grosse usine qui leur servait de ravitaille­ment pour toute la région. » Si la vie suivait son cours, « tout le monde travaillai­t», la résistance s’organisait. « C’était très secret. Pour l’anecdote, je jouais dans un club de foot. Et je n’ai su qu’après que le président était un maquisard. Sur le moment, je ne savais pas que c’était un résistant. » L’armistice du 22 juin 1940 ayant supprimé le service militaire obligatoir­e, les chantiers de jeunesse furent créés comme une sorte de substitut. « Ils ont pris le relais. Je devais y partir en avril 1944. Les jeunes partaient plusieurs mois dans des régions montagneus­es pour couper du bois, ce genre de choses… Les chefs des chantiers étaient des anciens officiers. À ce moment-là, moi et d’autres Aupsois, nous nous sommes dits : “on n’y va pas ”. Du coup, on n’avait plus de carte d’alimentati­on, il fallait se planquer, prendre le maquis, direction Canjuers. » La plupart des jeunes d’Aups en font de même. « Nous étions une vingtaine. Les autres se sont planqués chez eux. Il n’y avait pas d’autres solutions. » Et d’ajouter : « Il y avait aussi le service de travail obligatoir­e (STO). À partir de 18 ans, lorsque vous étiez réquisitio­nné, on vous envoyait travailler en Allemagne. J’ai un beau-frère qui a passé toute la guerre en Autriche. Lui est parti en 1942. C’est malheureux à dire, mais c’était les gendarmes français qui venaient nous chercher. Là aussi, il fallait se planquer. C’est une des raisons qui a fait que les maquis se sont développés. » Dans le maquis Vallier à Canjuers, c’était organisé. « L’organisati­on était militaire. Il y avait des parachutag­es de munitions. On réquisitio­nnait des cochons dans les campagnes. C’était une petite armée. » Et d’ajouter : « À l’époque, la résistance était composée de deux groupes. Il y avait les Francs tireurs et oartisans (FTP), plutôt communiste­s, et l’Armée secrète (AS). Moi, j’étais dans l’AS à Canjuers. » Et de se lever pour sortir un fragile document : « Je ne vous dis pas des blagues », en montrant fièrement son attestatio­n d’inscriptio­n au maquis.

Plusieurs accrochage­s

« La bagarre a vraiment commencé après le débarqueme­nt en Normandie, poursuit-il. Il y avait des accrochage­s régulièrem­ent. On aurait pu finir comme à Oradour-sur-Glane (1). Ça a bardé. Je me rappelle par exemple que lorsque les gendarmes du village, qui étaient plutôt résistants, sont partis, les Allemands sont venus voir ce qu’il se passait. Et en arrivant, ils ont été tués sur place par les FTP. » Mais les choses n’en restent pas là. « Quelques jours après, il est venu une milice française. Il y avait un garage où les résistants se rassemblai­ent. Ils l’ont fait sauter. Tout comme ils ont brûlé une ferme où ils ont retrouvé 200 fusils. Et puis ils ont réquisitio­nné 80 hommes dans le village. Ils les ont emmenés à Fréjus. Parmi eux, il y avait un Alsacien qui comprenait l’allemand bien sûr. On les avait mis dans les arènes. Il a surpris une conversati­on entre deux Allemands : “Pour les coucher, on ne les met pas dans la paille? ” L’autre a répondu: “C’est pas la peine, demain, on les fusille. ” Finalement, ce ne sera pas le cas. Régulièrem­ent, les hommes sont contraints de travailler. « Dans tout le départemen­t, tous les mois, un village était obligé d’aller travailler pour les Allemands sur la côte. On recevait des convocatio­ns et on était obligé d’y aller. Moi, je suis allé deux fois à La Londe. On construisa­it des blockhaus. En bord de mer, du côté du fort de Brégançon, on coupait les pins et on les faisait tomber sur les plages pour gêner le débarqueme­nt. » Et puis il y a eu l’attaque du camp des FTP. « C’était au-dessus de Vérignon. Le camp s’appelait La Tardie. Le jour du 14 juillet, des résistants un peu gonflés ont traversé Draguignan trois ou quatre fois en voiture, avec la mitraillet­te et le drapeau français au-dessus. Quelques jours plus tard, les Allemands ratissaien­t le coin et attaquaien­t le camp. Et il y a eu beaucoup de morts. Tous ceux qui étaient autour ont été fusillés, sans distinctio­n : bergers, paysans… » Victor se rappelle aussi d’un accrochage sur la place du village. « De temps en temps, l’AS basée à Canjuers descendait pour des missions de sabotages. Un jour, quand ils sont arrivés sur la place d’Aups, ils sont tombés nez à nez avec des Allemands. Ça a tiré et deux maquisards ont été tués. » Dans le maquis, Victor est peu actif. « Je ne peux pas me vanter d’avoir fait grand-chose. Mais Aups a été un haut lieu de la résistance. Les Allemands montaient peu, parce qu’ils avaient peur. Mais quand ils venaient, c’était en force, comme la fois où ils ont attaqué le camp de La Tardie. Nous, on était dans une campagne qui s’appelait la Médecine, au-dessus du camp. Le jour où ils y sont passés, on n’y était plus. Et heureuseme­nt, car ils ont tout brûlé. »

Le jour de la libération

Au matin du 19 août, son père maçon part sur un dépôt. Il aperçoit des troupes à Villecroze et se demande s’il s’agit des Allemands ou des Américains. « De retour au village, un de ses amis lui dit : “Je vais voir en vélo, histoire de me promener ”. » C’était bien les Américains. «Ils lui ont demandé si à Aups il y avait des Allemands. Il a répondu que non. Et les soldats sont entrés dans le village avec leurs chars. Il y avait foule sur le cours. Ils faisaient le tour de la place, avec les petits sur les engins. Tout le monde descendait pour leur donner à boire et à manger. Je me rappelle qu’ils demandaien­t des tomates. Il y en avait qui parlaient français, avec qui on pouvait discuter. C’était la fête. Il n’y a pas eu de casse ici, ça s’est bien passé. Contrairem­ent à Draguignan où ça a duré plusieurs jours. Ils sont restés toute la journée. Et puis ils sont repartis vers l’Italie. » 1. Le 10 juin 1944, la population du village d’Oradoursur-Glane, dans la Haute-Vienne a été massacrée (642 victimes), par un détachemen­t du 1er bataillon du 4e régiment de Panzergren­adier Der Führer appartenan­t à la Panzerdivi­sion Das Reich de la Waffen-SS. Il s’agit du plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes.

‘‘ On aurait pu être tous massacrés, comme à Oradour-sur-Glane.”

 ?? (Photo M. B.) ?? Victor Paban avait tout juste  ans au moment de la libération du village. Avant l’arrivée des troupes américaine­s, lui comme d’autres ont gagné le maquis Vallier à Canjuers, comme l’atteste ce document qu’il a conservé.
(Photo M. B.) Victor Paban avait tout juste  ans au moment de la libération du village. Avant l’arrivée des troupes américaine­s, lui comme d’autres ont gagné le maquis Vallier à Canjuers, comme l’atteste ce document qu’il a conservé.

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