Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Une prise de pouls avec le médecin de Porqueroll­es

Depuis dix-huit ans, Philippe Lentz est le seul généralist­e de l’île de Porqueroll­es. Un exercice de la médecine « sur les chapeaux de roues », aussi épuisant que passionnan­t

- SYLVAIN MOUHOT smouhot@nicematin.fr

Bonjour Docteur. Nous nous étions déjà parlés il y a dix ans, quand vous cherchiez un remplaçant pour alléger votre service…» Sourire en coin, un rien amer, le Dr Lentz recherche aujourd’hui encore un collaborat­eur. Il a peut-être trouvé l’oiseau rare en la personne d’un ancien interne qui accepterai­t de l’épauler pour assurer la continuité médicale sur l’île. Philippe Lentz, 58 ans, est usé par le rythme qui l’accapare nuit et jour, urgences et consultati­ons. À Porqueroll­es, le médecin généralist­e se doit aussi d’être urgentiste, formé et équipé.

Sutures, foulures, luxures, fractures

Routinier de la suture, il collection­ne les mots en -ure, pris qu’il est par les foulures, luxures, fractures que les visiteurs se donnent sur les chemins de l’île. « Il y a dix ans, je me souviens qu’on était venu me consulter pour un arrêt cardiaque», dit-il. Correspond­ant du Samu depuis six ans, il loue l’entente qu’il a nouée avec ses collègues du continent pour déclencher, le cas échéant, la chaîne des secours d’urgence le plus efficaceme­nt possible. «Je connais aussi maintenant mes correspond­ants à l’Agence régionale de santé. Je ne peux pas dire que je suis seul, mais je ne suis pas entendu. » Pas entendu quand il sollicite un poste de radiologie dans le nouveau cabinet qu’il occupera dans la Maison du commandant. Pas davantage quand il demande des progrès dans la localisati­on des appels d’urgence (il pense à un arrêt cardiaque survenu à l’Alycastre). Croyant fermement en l’avenir de la télémédeci­ne dans un univers contraint comme une île, il souhaite faire du Levant, où il consulte une fois par mois hors saison d’été, un laboratoir­e. «Un électrocar­diogramme peut éviter de diligenter un hélicoptèr­e. Je pense que la télémédeci­ne permettra de perpétuer une médecine humaine. » Usé, Philippe Lentz, mais tellement attaché à son métier. « Bien sûr que j’aime mon île, mes patients et la médecine, mais c’est de plus en plus éprouvant de la pratiquer. Je ne passe pas un jour sans recoudre quelqu’un… Ce matin, j’ai eu deux fractures. C’est une responsabi­lité très lourde. Quand je dis à mes confrères que je remets des luxations sans radio, ils sont éberlués. Les patients n’hésitent plus à attaquer leur médecin pour obtenir une réparation en justice. »

« Ce village agonise et dégénère »

Les Porqueroll­ais tiennent ardemment à leur médecin, on les comprend. «Mais il faut savoir dire que trop, c’est trop, explique-t-il. Ce village agonise et dégénère. L’école est passée de 47 à 17 élèves. Les questions qu’on se pose, c’est quand fermera-t-elle ? Et la garderie ? Et la Poste ? Et le médecin ? La vérité, c’est que Porqueroll­es est devenue une cloche à touristes où l’équilibre n’est plus respecté. On fait tout pour le tourisme, qu’est-ce qu’on fait pour l’île ? Mais la chose est entendue, on ne reviendra pas là-dessus… » Conçu pour 3 000 habitants, le village accueille 15 000

‘‘ Une saison à Porqueroll­es? Fatigant mais agréable. Je suis sur les chapeaux de roue mais ça me plaît, ou je ne le ferais pas ”

personnes par jour en été. La sonnette d’alarme est tirée, le Parc national, l’État et les élus locaux en sont conscients. La démarche « capacité de charge », étalonnée sur des scénarios donnant lieu à une exposition en ce moment sur l’île, vise justement à« trouver des solutions pour éviter de rendre la vie insupporta­ble sur l’île », selon les mots d’Alain Barcelo, chef de service du Parc national. « Oui, je finirai ma carrière ici, en participan­t à l’effort collectif, conclut le Dr Lentz. Mais je me donne pour objectif de ne plus être le seul capitaine du bateau à Porqueroll­es, de trouver un nouveau capitaine et son équipage. Même si le sacerdoce s’est perdu. Ce qui était naturel il y a 18 ans ne l’est plus. Être joignable 24/24 h, être réveillé à n’importe quelle heure de la nuit, les jeunes ne veulent plus vivre ça. »

‘‘ On me croit privilégié ? En  ans, j’ai dû faire trois fois de la plongée et une seule fois de la voile. ”

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(Photos Hélène Dos Santos) La « salle d’attente » du médecin, à l’ombre d’un eucalpyptu­s : il faut prendre le temps de se reposer après l’ascension du chemin Saint-Agathe… Le cabinet médical sera transféré derrière la Maison du commandant, mi-.
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Le Dr Philippe Lentz est le seul médecin de l’île, également propharmac­ien (il délivre les médicament­s qu’il prescrit lui-même), pour une population estimée à   personnes par jour en été.

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