Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
L’ÉDITO « Gilets jaunes » et écran blanc
« Tout le monde lit l’événement avec ses propres lunettes »
De Los Angeles, Michel Polnareff soutient les «gilets jaunes», parce qu’il sort un disque. Patrick Sébastien est avec eux, parce que c’est « sa » France. Franck Dubosc aussi : c’est la France de Camping. François-Henri Pinault les comprend, quand on dirige un empire du luxe (Gucci, Saint-Laurent, etc.), il ne faut pas snober les « personnes à revenu modeste ». Les médias les cajolent parce que la crise nourrit le moloch. Chez Hanouna et Morandini, ils ont table ouverte : c’est bon pour l’audimat, coco. Et les politiques, donc ! Tous solidaires – sauf les macroniens, qui se cachent dans des forums Internet comme les premiers chrétiens dans les catacombes. Tous « gilets jaunes » ! Marine Le Pen parce que, comme le dit son conseiller Philippe Olivier, « ce sont les nôtres ». Jean-Luc Mélenchon parce que toute colère est bonne à prendre, même si c’est une colère anti-impôts alors que son programme, en , prévoyait une explosion de la pression fiscale. Laurent Wauquiez parce qu’il s’est posé en champion des classes moyennes maltraitées. Les europhobes parce que c’est une fronde contre les diktats de Bruxelles. La gauche parce que c’est une révolte contre le néo-libéralisme et la suppression de l’ISF. Les libéraux parce que c’est une jacquerie contre le fiscalisme et la dépensolâtrie, ces deux plaies de l’économie française. François Hollande parce que les « gilets jaunes » le vengent de Macron. Ségolène Royal parce qu’ils sont, comme elle, contre « l’écologie punitive ». Jean Lassalle parce que « la politique n’a plus aucun pouvoir ». Christine Boutin parce qu’elle est contre la PMA. Ne cherchez pas le rapport : il n’y en a pas. Les lycéens parce que… Tout le monde lit l’événement avec ses propres lunettes et y trouve des raisons de soutenir les « gilets jaunes ». Qui oserait être contre, quand % des Français jugent leur mouvement « justifié » (sondage Odoxa) ? A ce stade, il convient de s’interroger sur la signification d’un si écrasant consensus, dans un pays que l’on sait profondément fracturé. Et sur sa capacité à déboucher sur des changements politiques réels. Car cet unanimisme de façade masque beaucoup de malentendus. Au-delà d’une revendication fédératrice (qui peut bien être contre la baisse des impôts et du prix des carburants ? Il faudrait être maso), les « gilets jaunes » sont, si l’on ose écrire, un écran blanc sur lequel chacun projette ses espoirs, ses frustrations et ses détestations. Le premier des malentendus étant que les partis d’opposition rêvent de « se payer » Macron quand les « gilets jaunes » rêvent de démocratie directe. Les uns veulent prendre leur revanche de ; les autres entendent se passer des partis et ouvrir l’ère du peuple. Mais il ne suffit pas d’empiler des revendications pour les faire aboutir. Cela exige de se structurer, se fixer des objectifs communs, un agenda, nommer des représentants habilités à négocier. Les palinodies autour de la désignation de porte-parole, sitôt choisis sitôt désavoués, la multiplication de comités rivaux, le pitoyable intermède qui s’est joué hier à Matignon, où le délégué s’esquiva en avouant qu’il avait été menacé par ceux qu’il était censé représenter, tout cela montre que les « gilets jaunes » sont loin d’être prêts à passer de la protestation à la négociation. Aussi loin que ceux qui, aux deux bouts de l’échiquier politique, appellent à la dissolution de l’Assemblée nationale sont loin de proposer une alternative politique cohérente. L’antimacronisme ne fait pas un programme commun.