Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Aux maires qui dérapent vous êtes hors les clous »
Interview Un chapelet de communes a voulu durcir le confinement, parfois avec succès. À la Ligue des droits de l’Homme, Michel Tubiana déplore « le florilège de décisions des maires »
En plein confinement, doit-on se contenter de 300 mètres pour se dégourdir les jambes autour de chez soi ? Ou bien 200 mètres ? Ou dix mètres ? Un couvre-feu nocturne permet-il de mieux lutter contre la propagation de la maladie ? Faut-il voir limitée à quelques kilomètres, la distance autorisée pour faire ses achats de première nécessité ? Pendant la crise sanitaire, des élus locaux ont voulu redessiner le contour des règles de confinement, qu’ils jugeaient inadaptées. Certains ont fait machine arrière, comme Sanary et Bandol. Ou ont été contraints de renoncer, comme Saint-Mandrier, en bord de rade toulonnaise (1) (lire par ailleurs). D’autres ont tenu bon, à l’instar de Nice où l’arrêté du maire interdisant les déplacements dans certains secteurs de la ville, de 20 h à 5 h, est toujours en vigueur. Dans chacun de ces dossiers, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a saisi la justice administrative, dénonçant une atteinte grave à une liberté fondamentale. Avocat et président d’honneur de la LDH, Michel Tubiana explique les principes défendus.
Pourquoi la Ligue des droits de l’Homme conteste-t-elle le durcissement local des mesures de confinement ?
Nous sommes en face d’une espèce de volonté autoritaire des maires qui réduisent la liberté d’aller et venir, sans raison ni considération légitime. Sur les déplacements brefs autour de chez soi, le Conseil d’État a fixé des limites (), des maires ont voulu en fixer d’autres… Deux cents mètres de distance maximale, et pourquoi pas ? On ne peut pas laisser faire une France qui serait en peau de léopard. Avec des règles différentes, selon qu’on soit dans une commune, ou une autre.
Ces maires connaissent bien leur territoire. Ils demandent qu’on leur laisse une marge de manoeuvre. Que le maire pense pour ses administrés, c’est une chose, mais ce n’est pas parole d’évangile. Cela se fait sous le contrôle du juge des libertés. Il faut dire aux maires qui dérapent, vous êtes hors les clous. On ne peut pas obliger les gens à fréquenter tel ou tel magasin. Il y a communes en France. Heureusement que tous les maires ne prennent pas des décisions qui sont une intrusion intolérable dans la vie des gens.
Pour autant, la justice n’a pas toujours donné raison à la Ligue.
Nous avons contesté le couvrefeu de Nice, mais le tribunal administratif a considéré qu’il était valable (). Au motif qu’il concerne une petite partie du territoire, en fait, cela vise les quartiers populaires. Je ne suis pas d’accord, mais le juge l’a dit. La Ligue des droits de l’Homme continue de veiller aux décisions qui touchent aux libertés fondamentales. Heureusement, avec la fin annoncée du confinement, cela a tendance à s’estomper.
Est-ce que certaines régions sont davantage concernées ?
Nous connaissons un florilège de décisions prises par les maires, dans toute la France. C’est quelque chose de totalement partagé. Certains élus ont renoncé avant que le tribunal administratif ne statue. Car on a un dialogue. Par exemple, le maire de Biarritz voulait interdire la station de plus de dix minutes sur les bancs duborddemer.Onluia expliqué que c’était limite sur le plan juridique. Il a retiré sa mesure.
Le maire de Saint-Mandrier argumente autour de l’impréparation du gouvernement, sur les masques, l’ouverture des écoles, etc..
L’échelon local a tout à fait sa légitimité dans certains domaines, dont celui des écoles bien sûr. Si le maire estime ne pas avoir les moyens d’assurer la sécurité des élèves, il est tout à fait légitime de ne pas ouvrir les classes comme le dit le gouvernement.
Et le port du masque que certains élus, à l’instar de Gérard Collomb, veulent rendre obligatoire ?
Dans le cas de Sceaux [Hauts-deSeine], le conseil d’État a dit qu’on ne pouvait pas imposer le port du masque partout. C’était un souci de cohérence (). Quant au maire de Lyon, tout ancien ministre de l’Intérieur qu’il est, je pense qu’il n’a pas bien conscience de ce vers quoi il s’aventure.
1. Un arrêté municipal de Saint-Mandrier a été annulé par le Tribunal administratif de Toulon, le 23 avril.
2. Le 22 mars, le conseil d’État a ordonné au gouvernement de mieux encadrer « les déplacements brefs, à proximité du domicile ». C’est alors que la limitation à un kilomètre a été instaurée. 3. Tribunal administratif de Nice, le 22 avril. 4. L’ordonnance du 17 avril stipule que l’obligation serait « susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes ».