Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

L’essayiste signe « Mes présidents » de la Ve

ALAIN MINC

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

De loin d’abord, de plus en plus près ensuite, l’économiste, essayiste et homme d’influence Alain Minc, 71 ans, a connu tous les présidents de la Ve République. Il les cerne, tout manichéism­e mis de côté malgré des préférence­s perceptibl­es, dans Mes présidents Deux se détachent sans surprise du lot : «De Gaulle parce qu’il crée la Ve République, qui ne gagne sa longévité qu’à partir du moment où la gauche la valide à son tour. Elle est un enfant du Général relégitimé par Mitterrand. » Celui qui fut le conseiller de quelques-uns de nos puissants, dont Nicolas Sarkozy, a accepté de nous livrer sa vision condensée des huit « monarques » qui se sont succédé de 1958 à aujourd’hui.

Charles de Gaulle : « Il a sublimé ses contradict­ions »

Il avait une dimension hors norme, qu’aucun système de pensée ne peut réduire. C’est un personnage contradict­oire mais qui a sublimé ses contradict­ions en moteurs de son action. D’un côté, il avait un amour passionnel de la France et, de l’autre, un mépris abyssal des Français, ces «veaux» . Il avait aussi une volonté de fer et des moments de quasi-déprime, voire de dépression. Il a fait cohabiter la grande politique, les desseins les plus élevés d’un côté, avec la cuisine politicien­ne, ses petitesses et ses manipulati­ons lorsqu’il jugeait cela nécessaire. Jamais la cuisine politique n’a eu d’intérêt en soi pour lui, mais un personnage habité par sa mission ne lésine pas sur les moyens.

Georges Pompidou : « Il a ancré l’usage actuel de nos institutio­ns »

Cet homme, qui n’a pas fait la résistance, est parvenu à s’imposer dans l’entourage du Général parce qu’il était « tellement plus intelligen­t que nous », m’a dit un jour un compagnon du Général. Il avait ensuite un compas très large. En , il fait élire l’Assemblée nationale la plus réactionna­ire depuis . Et, l’année d’après, il choisit le projet architectu­ral le plus audacieux de l’époque, qui deviendra le Centre Pompidou. Enfin, c’est lui qui a ancré l’usage actuel de nos institutio­ns. Plus que De Gaulle, cet homme qui avait le génie de la normalité a appliqué la toute-puissance présidenti­elle. Il était campé sur sa liberté et sûr de ses capacités.

Valéry Giscard d’Estaing : « Éblouissan­t et naïf »

Au-delà d’un parcours qui paraît prédestiné à l’Élysée, il y a, chez lui, une vraie authentici­té. Si seule l’ambition l’avait mu, il serait devenu gaulliste. Au nom de ses conviction­s tocquevill­iennes, libérales, il aurait pu ne jamais devenir Président. C’est l’échec de Jacques Chaban-Delmas et sa propre campagne, magnifique, qui l’ont propulsé à l’Élysée. Là, il a montré une forme d’arrogance mais aussi une extrême ouverture à la société. Sa première année a été éblouissan­te de modernité avec la majorité à  ans, la loi dépénalisa­nt l’IVG, le divorce par consenteme­nt mutuel, etc. Mais il a fait preuve simultaném­ent d’une grande naïveté politique en ne dissolvant pas l’Assemblée alors qu’il en avait les moyens à son arrivée au pouvoir. Il en mourra à travers la trahison de Chirac.

François Mitterrand : « Le legs historique efface les côtés insupporta­bles »

Chez Mitterrand, il faut distinguer l’homme et la trace historique. L’homme était le plus compliqué qu’on puisse imaginer ! Il m’a impression­né, mais je l’ai aussi haï quand il a dit que Bousquet [René Bousquet fut l’un des responsabl­es de la déportatio­n en France] « était l’Alain Minc de l’époque », alors que mes parents avaient échappé à la rafle du Vél d’Hiv’. C’est là que j’ai perçu qu’il y avait chez lui une espèce d’inconscien­t antisémite. La contradict­ion est en lui permanente. C’est un cynique absolu mais il a écrit à Anne Pingeot des lettres merveilleu­ses d’un amoureux fou. Sa trace historique est en tout cas irremplaça­ble, dans la mesure où il a conforté les institutio­ns, rendu la Ve République irréversib­le, renforcé le camp occidental, permis à l’Europe d’accomplir des pas considérab­les et, enfin, fait accepter aux Français, sans vraiment s’en rendre compte, l’économie de marché. Ce legs historique puissant efface les côtés parfois insupporta­bles de sa personnali­té complexe.

Jacques Chirac : « Plus intéressan­t que sa politique »

C’est un personnage plus intéressan­t que la politique quelconque qu’il a menée. Sa trace est forte à travers trois grands sujets de principe. Il s’est montré incroyable­ment courageux de reconnaîtr­e la responsabi­lité de l’État français, et même de la France, dans la rafle du Vél d’Hiv’. Il s’est montré fort aussi, en refusant la guerre d’Irak. Fort, enfin, en opposant un refus moral et viscéral à tout rapprochem­ent électoral avec le Front national. Sur les principes et la rigueur morale, mon blancseing est total. Politiquem­ent en revanche, il n’a jamais dépassé  % au premier tour de la présidenti­elle, bien qu’il ait parcouru le pays des milliers d’heures durant. Et il a connu deux défaites hallucinan­tes : la dissolutio­n et le référendum ratés de  et . Il a eu la pratique la moins gaulliste des institutio­ns, puisqu’après de tels échecs, De Gaulle serait parti. Enfin, il n’a pas réformé le pays durant ses cinq dernières années au pouvoir. L’homme est très respectabl­e, il fut par moments un homme d’État, mais ce fut un mauvais homme politique.

Nicolas Sarkozy : « Un entreprene­ur lancé en politique »

Nicolas Sakozy, que j’ai connu intimement, est un entreprene­ur en politique. Il faisait, au fond, de la politique comme un entreprene­ur fait du business, avec une énergie vitale, un sens aigu des intuitions. C’est une force qui va. Il a mis ces qualitéslà au service du pays au moment clé de la crise de . Il a tenu à bout de bras le monde occidental pendant dix jours, le président des USA [George W. Bush] étant à l’époque quasi dépressif. C’est cela que l’Histoire retiendra de lui. Ce n’est pas un bourgeois, ce n’est pas un type qui aime l’ordre établi. Il ressemble finalement assez peu à la droite qui l’a adoré. Il n’est pas conservate­ur et il aime la provocatio­n. Il a perdu en  parce qu’il a fait le pari que la France était plus à droite qu’elle n’était en réalité.

François Hollande : « Un Premier ministre de monarchie scandinave »

Je n’ai pas voté pour Hollande mais je n’aime pas le procès injuste qui lui est fait. Il avait le tempéramen­t d’un Premier ministre social-démocrate dans une monarchie scandinave, non d’un « roi » à la française tel que notre Constituti­on l’a inventé. Il s’est retrouvé dans un costume qui n’était pas le sien. Cela étant, il a maintenu la dignité de la fonction : il a su intervenir en politique extérieure et militaire, au Mali notamment, il a mené des actions diplomatiq­ues courageuse­s et a joué en Europe un rôle fondamenta­l en tordant le bras d’Angela Merkel pour ne pas expulser la Grèce de la zone euro. Enfin, face au drame des attentats, il a su exprimer ce qu’on attendait de lui en termes d’unité nationale et de compassion. Mais tout cela a été écrasé par une somme de petites erreurs et de comporteme­nts trop politicien­s. Le problème de François Hollande est d’avoir été déformé par le job le pire de France : er secrétaire du PS.

Emmanuel Macron : « Un Aventurier »

Je raconte que, vieil inspecteur des finances recevant un jeune confrère, je lui demande ce qu’il sera dans trente ans : il me répond « président de la République ». C’est un ovni habité, plus qu’un ambitieux. Un ambitieux veut un job pour le job. Un type habité le veut parce qu’il croit qu’il a une mission. C’est son cas. Il est un Aventurier avec un grand A, au sens où Malraux définit l’Aventurier. Du fait, justement, de ce qu’il est, de ce dynamisme permanent, on ne connaît pas la fin de l’histoire : ce peut être une réélection facile ou au contraire une impossibil­ité de se représente­r. Mais il possède quelque chose qu’aucun des sept autres n’avait. Son degré d’atypicité est sans équivalent.

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