Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« On a fait plus en jours qu’en ans »
Auteur de « Santé, le Grand bouleversement, comment serons-nous soignés demain ? » Le Pr Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé, ex-président de la CroixRouge aujourd’hui à la tête de l’Académie nationale de médecine, analyse les effets de la crise sanitaire sur la télémédecine.
Quel effet de la crise peut-on attendre selon vous sur la télémédecine ?
On a fait en jours plus qu’en ans dans le domaine de la télémédecine ; le nombre de téléconsultations a explosé, les télésoins sont montés en puissance… Cette crise va à mon sens apporter une légitimité à la médecine téléphonique, télévisuelle, télématique. Il faut capitaliser pour faire de la France un leader dans le domaine.
Qu’est ce qui freinait jusqu’à présent le développement de la télémédecine, et des téléconsultations en particulier ? La majorité des médecins en exercice – et la majorité des patients – soit les deux populations les plus impliquées, ont plus de ans. Or, contrairement aux jeunes médecins qui utilisent déjà beaucoup les nouvelles technologies, les professionnels de santé plus âgés sont peu familiers de ce type de pratiques. D’où certaines réticences. Je pense que la crise, en forçant le recours à ces approches, aura permis de lever ce frein. Le second obstacle est plus psychologique : le contact est jugé indispensable par un certain nombre de patients. Une personne qui ne bénéficie pas d’un examen clinique a tendance à se sentir « mal considérée ». Il faut lutter contre le dogme selon lequel une consultation doit nécessairement se faire « corps présent ».
Comment une crise peut-elle faire évoluer les mentalités ?
Je répondrai par cette citation de Jean Monnet : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. » Les gens ont compris l’utilité de la télémédecine. La révolution comportementale, culturelle est en marche.
Ne faut-il craindre qu’un jour, la médecine à distance prenne le pas sur la médecine traditionnelle ?
Non. La télémédecine n’est rien d’autre qu’un outil supplémentaire, certes précieux mais complémentaire de la consultation classique. La téléconsultation ne saura jamais remplacer la rencontre entre un médecin et un patient ; le face-àface, le contact sont irremplaçables. Il y aura toujours nécessité de palper un ventre !
Quelle place alors pour la téléconsultation ?
Son utilité est indéniable pour de simples renouvellements d’ordonnance, le suivi de malades chroniques ou encore pour obtenir un avis urgent dans des zones sous médicalisées. Mais le problème des zones blanches ou déserts numériques reste intact, et la téléconsultation ne le résoudra pas.
Concrètement, comment la téléconsultation sera-t-elle selon vous intégrée dans la pratique quotidienne ?
La priorité restera la consultation présentielle. Et les médecins dédieront probablement certains créneaux à ces consultations à distance. Tout cela va s’organiser ; ce ne sera pas un médico « happening » (performance, Ndlr).
Qu’est-ce qu’il faudrait encore résoudre pour que la télémédecine s’installe définitivement ?
Je pense qu’il faudra être très attentif au secret médical. On devra prendre de grandes précautions pour prévenir le piratage de données.
Si vous deviez en conclusion citer un autre effet majeur de la crise ?
Je pense – j’espère au moins – que les gens auront compris que la santé n’est pas un bien individuel, mais commun. Il s’agit de renouer le lien social à visée sanitaire.