Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

B. Sananes : « Redémarrer ou réinventer le pays ? »

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-L. P.

En politique, y aura-t-il un avant et un après crise sanitaire ? L’analyse de Bernard Sananes, le président de l’institut Elabe

Quelle leçon politique tirer de cette épidémie ?

Il est encore tôt. On a du mal à voir si le lendemain de la crise donnera vraiment naissance à un monde d’après. Le débat philosophi­que existe, mais il n’est pas impossible que la crise économique et sociale concentre les inquiétude­s des citoyens. La crise sanitaire a été un moment extraordin­aire au sens littéral, personne ne le conteste. Mais peut-être qu’on va vite l’oublier. La question est de savoir si la priorité va être de faire redémarrer le pays ou de réinventer. Par ses fonctions, le président de la République aura un rôle clé à jouer sur la façon dont il envisage l’après, et pour donner le cap. On verra en septembre si l’ampleur de la crise économique et sociale fait passer au second plan les réflexions sur le monde d’après.

Mais pour la première fois l’humain est passé devant l’économie. Est-ce un changement durable ?

Cette crise est inédite pour notre génération. C’est une crise sanitaire sans équivalent qui a appelé une réponse inédite. Imaginez : qui aurait pu envisager, il y a encore quelques semaines, qu’on mettrait non seulement l’économie, mais tout le pays à l’arrêt ? La protection de la santé est effectivem­ent passée devant toute autre considérat­ion. « Quoi qu’il en coûte », a même déclaré Emmanuel Macron. La crise a eu un effet de déclencheu­r sur ceux qui étaient aux manettes et qui jusqu’à maintenant donnaient la primauté à l’économie. À savoir Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. S’il reste une vraie marque de cette période, c’est justement cette dimension humaine des problémati­ques. On ne peut plus gouverner le pays avec un tableau Excel. À l’avenir, il faudra remettre de la dimension humaine dans les décisions politiques.

On parle du monde d’après, mais on le voit avec la campagne du tour des municipale­s : les vieux réflexes ressurgiss­ent chez les « barons » de la politique.

Avant, les négociatio­ns de l’entre-deux tours se faisaient en  heures. Là, avec l’interrupti­on du processus démocratiq­ue, elles ont duré  jours à  semaines, elles sont donc plus visibles. Les vieux réflexes que vous évoquez n’ont effectivem­ent pas été emportés par le nouveau paysage politique né de la dernière élection présidenti­elle et des législativ­es qui avaient vu les deux grands partis politiques – LR et le PS – éliminés prématurém­ent. Mais depuis, ces deux grands brûlés résistent. Alors que les deux finalistes de la présidenti­elle n’arrivent pas à construire un véritable maillage territoria­l. Le nouveau monde n’a pas changé la vieille politique.

C’est à désespérer, non ?

La politique a des règles, des codes, qui sont restés les mêmes au fil des décennies. Même si les partis s’affaibliss­ent, la manière de faire de la politique ne va pas changer. À une exception près, il y a chez les citoyens une très forte attente : la culture du résultat. Si Macron est jugé assez sévèrement sur cette crise, c’est qu’il n’a pas tenu l’une de ses promesses : celle de l’efficience. Les gens estiment que sa gestion de la crise, du moins dans la re phase, n’a pas été efficace. À l’avenir, l’absence de résultats disqualifi­era les responsabl­es politiques.

Cette crise a encore renforcé la défiance à l’égard des hommes politiques. Comment inverser la tendance à l’avenir ?

Outre la culture des résultats que nous évoquions à l’instant, sans doute en développan­t une forme d’écoute, de proximité plus forte. Avec la fin du cumul des mandats, on n’a pas trouvé de solution pour redonner aux élus nationaux un lien de proximité. La défiance à laquelle on assiste s’explique aussi par le manque de sincérité. Les dirigeants politiques ne sont pas respectés parce qu’on leur reproche de ne pas dire la vérité. On l’a vu avec la polémique sur les masques : c’est sur un soupçon d’insincérit­é que s’est structurée la défiance à l’égard des hommes politiques, et notamment d’Emmanuel Macron vis-à-vis de qui la défiance était déjà installée. Cela dit, les opposition­s progressen­t peu et n’incarnent pas aujourd’hui une alternance.

Les citoyens vont-ils enfin être remis au coeur des décisions politiques ? Le monde de demain mettra-t-il en avant la démocratie participat­ive ?

Localement, cette démocratie participat­ive fonctionne dans un certain nombre d’endroits. Mais au niveau national, il est vrai qu’on n’a pas encore trouvé le juste milieu entre la prise de décision sur la base de l’intérêt général et la nécessité de prendre en considérat­ion les avis de chaque citoyen. On l’a vu avec le grand débat, une initiative positive, mais qui a déçu dans ses conclusion­s. Sur cette question, l’État, qui n’est plus toutpuissa­nt, va devoir inventer de nouvelles coopératio­ns, notamment en travaillan­t davantage en réseau avec les collectivi­tés locales, les entreprise­s. 1. Un cabinet d’études et de conseil, notamment sur l’opinion et la communicat­ion.

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