Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Nice : ils étaient unis pour ne pas subir...

Comme une thérapie, le lieutenant-colonel Riquier avait demandé à ses « soldats de la vie » de coucher sur papier les souvenirs traumatisa­nt de la terrible nuit du 14 juillet 2016 à Nice. Tous unis pour ne pas subir, le livre qu’il en a tiré, est simpleme

- JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD

Un 14 juillet de plus. Les sapeurs pompiers de Nice sont rompus à l’exercice. Le dispositif de secours mis en place sur la promenade des Anglais est arrêté depuis de longues semaines. On attend comme chaque été plus de 30 000 personnes le long de la baie des Anges. La Prom Party, série de mini-concerts, viendra ponctuer en musique le feu d’artifice. Plus de 130 sapeurs-pompiers sont réquisitio­nnés. Après les attentats de novembre 2015 à Paris, la plus grande vigilance est de mise en cet été 2016. Jamais le nombre de pompiers présents sur les trottoirs de la Prom’, de Lenval jusqu’à Rauba Capeu, n’a été aussi important. Les hommes du lieutenant-colonel Riquier sont en position dès la fin de journée. Tous hyper concentrés. Mus par un esprit d’équipe au sens rugbystiqu­e du terme dont Olivier a fait la marque de fabrique du corps des sapeurs-pompiers de Nice. Pas étonnant ainsi que, cet hiver dernier, le XV de France soit venu dans le plus grand des secrets peaufiner sa préparatio­n physique et mentale auprès de ces « soldats de la vie » de la caserne Magnan.

Un grand village

Focus sur leur mission, mais sereins. La petite musique de fête si particuliè­re du 14-Juillet, ils n’y sont pas indifféren­ts. Sans doute croiseront-ils ce soir leurs épouses avec les enfants, des copains, des parents ou des connaissan­ces lorsque le bouquet final illuminera la baie des Anges. Nice est un grand village... Olivier Riquier se souvient avoir promis à Victoire, sa cadette, de l’amener sur la Prom’. L’aprèsmidi, avec ses « hommes », il a sacrifié avec une immense fierté au rite du défilé sur la promenade des Anglais. La GardenPart­y dans les jardins de la Villa Masséna s’est terminée un peu tard. De retour chez lui, sa fille est déjà endormie. Le feu d’artifice, il se contentera avec son épouse et son aîné d’en profiter de loin, depuis le balcon de leur appartemen­t à Valrose. Le destin frappe alors à sa porte. Comme à celle des 462 sapeurspom­piers de Nice pour lesquels la vie jamais ne sera plus comme avant. Le récit de cette nuit d’épouvante, Olivier l’a couché sur papier dans un élan d’infinie tristesse, mais de fierté aussi. Un livre : Tous Unis pour ne pas subir. Parce qu’il y a toujours un après.

Et pour les soldats de la vie, il fut douloureux. La plaie s’est-elle refermée après qu’ils aient erré d’un corps à l’autre dans l’infernale scène de dévastatio­n que le camion de la mort du terroriste avait laissée dans son sillage ? Nul ne sait. Au lendemain de cet enfer, Olivier avait proposé à ses hommes de raconter leur nuit, de n’omettre aucun détail, de ne dissimuler aucune des angoisses qu’ils avaient dû alors refouler afin de ne pas sombrer dans l’émotion, de ne pas perdre leurs moyens au risque d’offrir une seconde victoire au tueur du 14Juillet.

« Olivier descend... J’ai au mois  morts sur la Prom’ »

Thérapie d’urgence. Chacun de sa plus belle plume s’y est mis. Le livre d’Olivier Riquier les compile pour que chacun sache. « Vers 23 heures environ, coup de fil de Philippe. Sa voie est stressée. Pour l’impression­ner lui, il en faut vraiment...: “Olivier descend... J’ai au moins 50 morts sur la promenade des Anglais... je crois que c’est un

attentat”. Depuis que j’ai entendu ces mots, je ne suis plus le même homme » Le colonel ignore encore qu’il va devoir prendre le commandeme­nt d’une opération de secours d’une ampleur sans exemple. Une question le hante : « Sommes-nous prêts ? » Prêts à intervenir dans leur propre cité sur une scène d’absolue barbarie qui s’étale sur plus de deux kilomètres, avec la menace de surattenta­t ou pire le spectre du multi-attentat qui planera sur la ville toute la nuit ? Olivier déclenche le plan ORSEC NOVI 4e échelon (nombre de victimes important), il réquisitio­nne le dancefloor de la discothèqu­e le High Club pour y installer le poste médical avancé. Sur la chaussée sud devant le Palais de la Méditerran­ée, l’adjudant Edouard Reano est l’un des premiers à faire face à l’horreur. Il n’était pas de service, mais bel et bien sur la Prom’ avec son épouse et sa famille : « Il était 22 h 30 quand nous sommes arrivés devant le Negresco nous avons entendu des bruits sourds comme des chocs... Le camion arrivait à vive allure... essayant de percuter un maximum de personnes... La chaussée était noire de monde... J’ai demandé à mon épouse de rentrer au plus vite... J’ai récupéré dans la voiture deux téléphones et je suis parti sans réfléchir porter secours aux nombreuses victimes qui étaient partout autour de nous. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté. La plupart des victimes dont je m’approche sont décédées. Je m’occupe d’un homme en urgence absolue (pronostiqu­e vital engagé, Ndlr) » C’est la panique. Le Samu déjà sous pression ne peut lui envoyer une ambulance. « Je leur explique que j’ai une ambulance de fortune. Un témoin m’a proposé son véhicule. Par chance, c’est un break. Nous rabattons les sièges arrière. J’installe la victime à l’arrière en PLS (position latérale de sécurité, Ndlr). Je demande à deux témoins de monter dans le break et de soutenir le blessé pendant le trajet jusqu’aux urgences de Pasteur. »

« Des personnes filment les corps, je leur tombe dessus »

La suite des confession­s est poignante. Les 130 secours mobilisés initialeme­nt voient arriver le renfort de tous les effectifs du corps de Nice. L’adjudant Renaud Carré pense à ses enfants, à sa femme, à sa mère partis voir le feu d’artifice. « Je me dis qu’ils sont peut-être morts ». Renaud ne flanche pas. Il part au combat. « Plus on avance, plus des corps jonchent le sol, certains recouverts de vêtements. Des témoins nous stoppent pour nous signaler des victimes encore en vie. Tout paraît lent, mais tout va très cite à la fois .» Concentré, repoussant toute émotion pour rester efficace, pour servir, il craque, l’espace d’un court instant. « Des personnes filment avec leur téléphone les corps, les scènes de souffrance, les gens qui pleurent. Je leur tombe dessus. Je me prends la tête avec eux. »

De son côté, Olivier Riquier coordonne. Fou d’inquiétude pour ses hommes, mais fier de leur profession­nalisme.

« Une bombe aurait explosé au High Club »

Les rumeurs de multi attentats affluent de toutes parts ; certaines seront même relayées par une chaîne d’info en continu. Deux terroriste­s seraient retranchés dans un restaurant avenue Jean-Jaurès. Le camion serait piégé. Il y aurait une prise d’otage à l’opéra de Nice. On annonce une fusillade place Masséna. Un autre à Garibaldi. « Une bombe aurait explosé au High

Club .» Cette petite musique d’épouvante, tous les pompiers présents sur la Prom’ la reçoivent aussi. La peur qu’elle déclenche parmi eux n’aura cependant jamais raison de leur engagement. Pas plus que ceux de témoins aussi qui nombreux viennent se mettre à leur dispositio­n. Là on trouve une planche, ici on dégonde « une barrière pour les transforme­r en civière de fortune ». Ailleurs, c’est un médecin, le capitaine Benoît Delevey qui arrive en short et en tong d’un pique-nique sur la plage pour tenir sa place sans un mot dans l’hôpital de guerre du High Club.

Ce soir-là, quand enfin les sapeurs pompiers ont extrait toutes les victimes, on dénombre 80 morts. Par ailleurs, le pronostic vital est engagé pour 55 personnes que les secours ont prises en charge. Trente-cinq autres sont très grièvement blessées. Le bilan final sera de 86 anges arrachés à la vie par la folie meurtrière d’un seul homme. Qui sait s’il n’aurait pas été encore plus lourd sans l’abnégation et la déterminat­ion inimaginab­le de ces « soldats niçois ». À la lecture de Tous unis pour ne pas subir, cela ne fait guère de doute !

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(Photo Patrice Lapoirie) Au moment de l’attentat, Olivier Riquier ignore qu’il va devoir prendre le commandeme­nt des opérations de secours.
 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? Une manière de revivre cette nuit terrible à travers les yeux de ceux qui étaient en première ligne : les sapeurs-pompiers.
(Photo Cyril Dodergny) Une manière de revivre cette nuit terrible à travers les yeux de ceux qui étaient en première ligne : les sapeurs-pompiers.
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(Photo Patrice Lapoirie) Parmi les hommages rendus après la tragédie, les sapeurs-pompiers ont été félicités pour leur dévouement à toute épreuve.

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