Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Redresseur de torts

Ce roman inspiré de faits réels plonge dans l’Amérique ségrégatio­nniste des années 1960, appuie là où les blessures sont encore vives. Un monument de littératur­e, qui a valu à son auteur un deuxième prix Pulitzer.

- PAR JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Elwood Curtis a tout fait « comme il fallait ». Toujours sage, discret, travailleu­r. Élevé par sa grand-mère en Floride, il a écouté des milliers de fois un vinyle sur lequel était gravé un discours de Martin Luther King. Issu d’un milieu défavorisé, le petit gars a de la suite dans les idées. Il a soif d’apprentiss­age, d’ascension sociale. « Quand il parlait on croyait entendre un étudiant blanc, il lisait des livres même quand personne ne l’y obligeait et en extrayait de l’uranium pour sa bombe A personnell­e », écrit Colson Whitehead. Déjà récompensé du National Book Award et du Pulitzer fiction en 2017 pour Undergroun­d Railroad, un roman-fleuve aux élans fantastiqu­es sur la fuite d’un esclave, l’auteur a encore tapé fort avec Nickel Boys. À nouveau salué par la critique, ce livre, traduit récemment par les éditions Albin Michel, lui a permis de décrocher un deuxième Pulitzer cette année. Voilà Whitehead dans un club très fermé de doubles lauréats où se trouvaient déjà William Faulkner, Booth Tarkington et John Updike. On ne sait pas si le New-Yorkais écrit pour entrer dans l’Histoire, mais il s’appuie sur elle et ses tourments pour donner forme à son oeuvre. Sa Nickel Academy, dans laquelle Elwood se retrouve après une erreur judiciaire, est inspirée d’un lieu funestemen­t réel, la Dozier

School for Boys, fermée après la découverte d’un charnier sur son campus.

« Deux parts différente­s de ma personnali­té »

En recoupant différents articles et témoignage­s, Whitehead a imaginé cette fiction où les blancs et les noirs dorment dans deux dortoirs séparés, où les adultes font preuve d’une cruauté et d’une violence sans limite pour « redresser » la mauvaise graine qui lui est confiée. Les plus récalcitra­nts sont envoyés à la « Maison-Blanche », une salle de torture dont certains sortent les pieds devant. « Fuir était une folie, ne pas fuir aussi »,

lit-on. Dans ce tableau lugubre, Colson Whitead, capable de faire naître des images très fortes d’une manière limpide, parvient à faire entrer un peu de lumière. Il s’interroge aussi sur le pardon et l’avenir. Parmi les Nickel Boys, compagnons d’infortune, Elwood Curtis se liera d’amitié avec Jack Turner, son exact opposé. « Chacun incarne deux parts différente­s de ma personnali­té », explique l’auteur. Elwood représente l’optimiste qui croit que nous pouvons rendre le monde meilleur si nous continuons à y travailler. Turner évoque un côté cynique, qui croit que ce pays est fondé sur le génocide, le meurtre et l’esclavage et qu’il en sera toujours ainsi. »

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