Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Isabelle Bouvier, paysanne et fière de l’être

Arboricult­rice et maraîchère à Vidauban, la porte-parole de la confédérat­ion paysanne participe au combat pour une meilleure reconnaiss­ance des femmes dans l’agricultur­e

- VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

Dans sa campagne proche de l’Argens à Vidauban, Isabelle Bouvier a le sens de l’accueil : le café fume et un bouquet de violettes du jardin nous attend. Sous ses airs de garçon manqué, elle aime « ce qui est joli ». Pourtant, cette fille d’enseignant­s suisses n’était pas destinée à cette vie-là. « Un jour j’ai décidé que je serai paysanne » dit-elle avec son accent. Elle se forme dans une école agricole helvétique et se lance, la première fois, en Ardèche.

Elle arrive ici en épousant un Vidaubanna­is. Lorsqu’il décède, elle reste seule avec trois jeunes enfants. Alors elle fonce. À 57 ans, elle regarde dans le rétroviseu­r sans complaisan­ce : « Je me suis installée ici en 2003 dans une AMAP où il y avait des légumes. J’ai donc planté des fruitiers sur le foncier que j’avais, ils n’ont jamais dépassé 5 ans. Dans le centre Var, on a des sols gorgés d’eau, des gels tardifs, ça ne pardonne pas », raconte-t-elle. Ne croyez pas qu’elle se cherche une excuse : « Je n’ai pas toujours fait les bons choix ».

Être femme n’est pas un frein

Il y a 4 ans, elle achète 4 hectares dans un autre quartier, sur la route du Thoronet, pour recommence­r : maraîchage, raisin de table, fraises, framboises, toujours en

AMAP. C’est plus fort qu’elle, elle plante aussi quelques pêchers et figuiers sur ses nouvelles parcelles. « Je suis un peu cinglée, un peu cassée » s’amuse Isabelle Bouvier. Riche de « la liberté, le privilège de vivre dans la nature », elle estime le prix à payer phénoménal : «Ce n’est pas normal de ne pas pouvoir en vivre correcteme­nt ». Malgré tout, « je suis paysanne et fière de l’être » répète-t-elle à l’envi. Courageuse aussi. « J’ai élevé mes enfants comme j’ai élevé mes arbres. Ils étaient tout le temps avec moi. Le dernier s’endormait sur le tracteur. C’est ça être paysanne, ça n’a jamais été un problème pour moi, au contraire. Être femme ce n’est pas un frein, je démonte mon épandeur à fumier en 20 minutes, je construis un réservoir avec une minipelle. Qui peut mieux comprendre la terre qu’une femme ? Le métier de paysan est féminin. ».

Le projet de vie, les droits des femmes dans l’agricultur­e, ce sera d’ailleurs le thème du salon à la ferme organisé ce dimanche chez elle (lire ci-dessous) par la confédérat­ion paysanne, syndicat où elle milite depuis des années. « Aucun élu n’a répondu à notre invitation, soit on n’intéresse personne, soit notre discours ne les intéresse pas », déplore-t-elle. Pourtant, elle estime que son syndicat « est le seul qui tient compte de l’avis des citoyens ».

On a besoin de ce lien à la terre

Son engagement porte aussi sur l’accès aux terres, de plus en plus difficile pour les jeunes et ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole. Elle siège ainsi pour son syndicat au comité technique de la Safer parce que la veille foncière

(1) l’intéresse. « C’est un enjeu important pour être témoin de comment ça se passe. J’ai la voix qui porte, je coupe la parole volontiers quand c’est nécessaire. Une femme qui sait de quoi elle parle, ça déstabilis­e. Aujourd’hui, la priorité c’est le paysan qui s’est fait exproprier, l’installati­on, la bio. Si tout le pognon mis dans l’agricultur­e industriel­le était mis pour que l’agriculteu­r soit autonome, on aurait aujourd’hui un autre paysage ».

Il y a quelques jours, une « amapienne », psychologu­e, est venue dans son potager avec des enfants. « C’était magique de les voir, on a besoin de ce lien à la terre. La terre, c’est une histoire de femme. C’est le propre d’un paysan et encore plus d’une paysanne de transmettr­e ces valeurs ». Elle s’y emploie et a même imaginé avec quelques amis un espace de « loisirs engagés » en plein champ. Labyrinthe, jeux, balançoire, mobilier de récupérati­on ou bricolé avec des palettes… « Pour que les gens rencontren­t le monde paysan ». Un lieu à son image, un peu foutraque. Mais idéal pour se ressourcer, les pieds dans la terre.

1. Société d’aménagemen­t foncier et d’établissem­ent rural.

 ?? (Photos Camille Dodet) ?? « Ce que je fais ici a de la valeur. Cette expérience peut faire avancer », espère Isabelle Bouvier.
(Photos Camille Dodet) « Ce que je fais ici a de la valeur. Cette expérience peut faire avancer », espère Isabelle Bouvier.

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