Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
À Marseille, le procès du « système » Guérini
Le procès de l’ex-baron du Parti socialiste marseillais, le sénateur Jean-Noël Guérini, et de son frère Alexandre, accusés d’avoir dirigé un « système clientéliste », s’est ouvert hier
Il est 8 h 30, lundi matin. JeanNoël Guérini, 70 ans, arrive visage fermé caché derrière un masque chirurgical. Sans un mot, il s’engouffre dès son ouverture dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Marseille. Son frère cadet Alexandre, homme d’affaires dans la gestion de déchets, lui succède quelques minutes plus tard, lui aussi sans faire de déclaration. Sur le banc des prévenus, les frères Guérini sont entourés de neuf autres personnes physiques et une personne morale, la société SMA Environnement d’Alexandre Guérini.
Deux des prévenus étaient absents lundi à l’ouverture du procès, pour lequel le département des Bouches-du-Rhône, aujourd’hui dirigé par la droite, s’est constitué partie civile. Jusqu’au 9 avril, les magistrats vont décortiquer les 10 volets d’un dossier tentaculaire. « Prise illégale d’intérêt », « abus de confiance », « favoritisme » : derrière les qualificatifs juridiques, il y a « un dévoiement généralisé de la chose publique au service d’intérêts économiques privés », a résumé le juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi, le parquet fustigeant « un système clientéliste ».
Tout est parti d’une dénonciation anonyme
Partis d’une dénonciation anonyme, en février 2009, les enquêteurs ont entendu plus de 150 personnes, dont 26 ont été mises en examen. Mais 12 seulement ont été renvoyées devant le tribunal, une vingtaine de volets de ce dossier ayant été abandonnés en chemin. «Tout ça pour ça!» , avait réagi Jean-Noël Guérini, 70 ans, en janvier 2020, estimant avoir été « conspué, diffamé, traité de voyou, de mafieux ».
Au final, l’ancien président du conseil général des Bouches-duRhône de 1998 à 2015, dont la mise en examen avait provoqué un séisme au sein de la puissante fédération socialiste des Bouches-du-Rhône et qui nie avoir « jamais mis son pouvoir au service de son frère », est seulement poursuivi pour « prise illégale d’intérêt ». Pour sa défense, l’entrepreneur Alexandre a soutenu de son côté que son frère « n’était pas informé »
des « interventions »
qu’il effectuait « de manière totalement désintéressée ».
Si les chefs « d’association de malfaiteurs » ou de « trafic d’influence » n’ont pas été retenus à l’encontre des frères Guérini, l’aîné, toujours sénateur, (Photo PQR/La Provence) devra s’expliquer sur certaines décisions du département ayant favorisé son cadet de 64 ans, comme la préemption d’un terrain à La Ciotat, en octobre 2014, officiellement pour protéger une plante vivace locale. Deux ans plus tard, le terrain était cédé à la communauté d’agglomération Garlaban-Huveaune-SainteBaume, qui entendait l’utiliser pour étendre son centre d’enfouissement des ordures, lui-même géré par… Alexandre Guérini.
« Monsieur Frère », personnage principal
Lundi matin, la défense de JeanNoël Guérini a justement plaidé la prescription des faits reprochés à l’ancien patron du département : pour son avocat Dominique Mattei, ces faits seraient prescrits car la décision de préempter le terrain a été prise le 22 novembre 2004, soit plus de trois ans (durée de la prescription) avant l’ouverture de l’enquête le 23 février 2009. Le juge d’instruction a pris, lui, pour référence une seconde délibération de juin 2006 sur la vente du terrain qui, elle, n’est pas prescrite. Évoquant « une question sérieuse », la présidente du tribunal Céline Ballérini a suivi les réquisitions du parquet, et joint sa décision sur cette question au fond : elle sera rendue avec le reste du jugement. Mais le personnage central de ce procès sera bien Alexandre Guérini, alias « Monsieur Frère », surnom acquis pour son omniprésence au département et à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), alors présidée par le Parti socialiste. Grâce à sa proximité avec le président du département, il aurait fait modifier à son avantage plusieurs appels d’offres de la métropole, dont l’un des principaux cadres de l’époque, Michel Karabadjakian, sera aussi sur le banc des prévenus.
Alexandre Guérini risque 10 ans de prison et 750 000 euros d’amende, son frère aîné cinq ans de prison et 500 000 euros d’amende. Réélu pour la troisième fois sénateur en septembre 2020, sous les couleurs de la Force du 13, le parti qu’il a créé en 2014, après avoir quitté le PS, Jean-Noël Guérini risque aussi une peine d’inéligibilité.
‘‘ Tout ça pour ça !” Jean-Noël Guérini, en janvier 2020.