Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

D’Urba à Bygmalion, l’histoire tourmentée de l’argent noir des campagnes

- THIERRY LÉVÊQUE (ALP)

Le procès Bygmalion – qui s’ouvre demain à Paris avec la comparutio­n parmi les quatorze prévenus de Nicolas Sarkozy [lire ci-contre] – est le dernier avatar de trois décennies de scandales où la justice a tenté timidement de punir les débordemen­ts dans le financemen­t électoral.

C’est un classique des procès politico-financiers. En première ligne, les exécutants se débattent dans des accusation­s de fausses factures ou de valises de billets. En deuxième ligne, l’homme de confiance fait paratonner­re. Enfin le chef, toujours épargné – s’il est jugé – assure n’avoir rien su de toutes ces basses oeuvres.

Trois décennies que ça dure, dans un esprit résumé dans un récent reportage de France 2 par Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne Sarkozy de 2012 : « C’est dans la grande tradition, tout le monde fait n’importe quoi pour les campagnes présidenti­elles et il n’y a jamais de conséquenc­es. L’important, c’est que le chef soit content. »

L’outil de la fausse facture était déjà celui de la première affaire, le dossier « Urba », bureau d’études lié au PS qui sert à justifier frauduleus­ement les « cadeaux » d’entreprise­s au PS en échange de marchés publics. Les juges feront comme principale victime Henri Emmanuelli, trésorier du PS, déclaré inéligible pour deux ans en 1997, qui reviendra ensuite en politique pour 15 ans. Dans ces années 1990, les juges poursuiven­t aussi l’argent subtilisé par le RPR à la ville de Paris. Bilan : une demi-douzaine de procès, mais peu de prison ferme et aucun élu important condamné.

Le patron du PC relaxé

En 2001, quelques faux-facturiers liés aux communiste­s sont (légèrement) condamnés mais Robert Hue, patron du PC, est relaxé faute de preuves. En 2000, le procès du financemen­t frauduleux du parti centriste CDS aboutit à des peines avec sursis qui seront amnistiées

Ces affaires ont formé des bataillons d’avocats, comme le défunt Olivier Metzner, Patrick Maisonneuv­e pour le

PS ou Jean-Pierre Versini, qui fit annuler une première fois le procès lié au PC. « Ce financemen­t, c’était tellement sophistiqu­é que personne n’a jamais vraiment compris comment le parti se finançait, même les avocats », sourit aujourd’hui ce dernier.

Un certain Chirac...

A l’Elysée en 2007, Jacques Chirac fait voter la règle d’immunité pénale du Président en fonction. En 2011, malade et absent, il est condamné à deux ans de prison avec sursis dans un dossier d’emplois fictifs. Une affaire, ouverte en 2010, change pourtant le climat : on y apprend qu’en 1995, des commission­s de contrat d’armement ont financé frauduleus­ement la campagne du RPR Edouard Balladur. Les protagonis­tes secondaire­s sont condamnés à de la prison ferme en 2020, dont une peine de trois ans pour Nicolas Bazire, directeur de campagne (l’affaire sera rejugée en appel). Edouard Balladur, lui, a été relaxé le 4 mars dernier, faute de preuves. Ces dossiers ont aussi mis à l’épreuve la magistratu­re, et notamment le statut ambigu des procureurs, nommés par le pouvoir. Jusqu’en 1994, ceux-ci pouvaient même dessaisir un juge d’instructio­n, se souvient Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM) : « Les choses ont évolué depuis Urba, parce que l’opinion publique progresse aussi. Elle ne peut plus supporter l’impunité de la classe politique. Il demeure cependant ce lien entre le parquet et le gouverneme­nt, qui est totalement intolérabl­e. » L’USM plaide pour la rupture totale de ce lien. En attendant, 30 ans après, la justice va revenir avec Bygmalion à cette organisati­on immuable : le chef et ses subordonné­s aux mains salies. Peut-être leur lira-t-on ces motifs de la loi de janvier 1990 sur le financemen­t des partis. « L’essentiel du combat politique se livre sans bourse délier […] Pour qui reste fidèle à la conception de la politique qui privilégie la confrontat­ion des idées sur celles des personnes, cela seul devrait suffire ».

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