Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Il y a urgence à revoir notre rapport au monde »
Les juristes de l’Université de Toulon Caroline Regad et Cédric Riot nous expliquent pourquoi le droit est aujourd’hui la meilleure réponse pour sauver la nature.
L’humain doit-il continuer à jouir du droit de vie et de mort sur les autres espèces de la planète ? L’Organisation des Nations Unies a clairement répondu « non » le 26 mai dernier, en proclamant la Charte du Droit du Vivant.
Dans son allocution d’ouverture, Maria Mercedez Sanchez, directrice du programme Harmony with Nature (harmonie avec la nature) de l’ONU, rappelait : « En 2008, l’Équateur a été la première nation à accorder le droit constitutionnel à la nature. En 2009, la Bolivie a reconnu, dans sa constitution, les principes du bien vivre comme guides de l’action de l’État ». Ces deux événements ont ouvert la voie à un ensemble de décisions qui ont contribué à la reconnaissance du droit du vivant. Les travaux de nombreux chercheurs, en neurosciences notamment, ont largement participé aux avancées dans le domaine. De même que ceux des juristes. En particulier, les recherches menées à l’université de Toulon sur la notion de personne juridique. Les deux enseignantschercheurs Caroline Regad et Cédric Riot, auteurs de la Déclaration de Toulon, sont désormais experts auprès de l’ONU. Ils nous éclairent sur cette notion de droit du vivant.
Vous êtes récemment devenus experts des Nations Unies pour le programme Harmony with
Nature. Pourquoi et comment ?
Nos travaux universitaires sur la personnalité juridique de l’animal, marqués notamment par la Déclaration de Toulon de , réponse juridique à la Déclaration de Cambridge de , ont fait le tour du monde. Notre ambition de faire évoluer la notion de personne juridique afin d’y intégrer les animaux a eu un certain écho et nos travaux scientifiques sont remontés dans différentes institutions, publiques ou privées, et de manière très heureuse jusqu’à l’ONU. Le rapprochement entre les animaux sauvages et la Nature, que nous proposons dans le troisième chapitre de la Trilogie sur la personnalité juridique de l’animal, a également beaucoup intéressé certains responsables en charge de ces questions à l’ONU qui ont pris attache avec nous. Après nous avoir exposé le contenu du programme Harmony with Nature des Nations Unies, la responsable de ce programme nous a proposé de l’intégrer en qualité d’Experts, ce que nous avons accepté.
En quoi consiste le programme Harmony with Nature ? Quelles en sont les étapes ?
Les humains ne peuvent plus agir comme s’ils étaient les seuls habitants d’une planète aux ressources inépuisables. Ce temps est révolu. Il y a urgence à revoir notre rapport au monde, que ce soit avec les animaux et/ou la nature. Les humains font partie d’une communauté plus large de vivants. Le programme Harmony with Nature contribue à ce changement de paradigme en mettant en évidence ce qu’on appelle la « jurisprudence de la
Terre ». Dans cette perspective, certains systèmes juridiques reconnaissent des droits à la nature. Tous les textes qui viennent enrichir la jurisprudence de la Terre participent à une approche non-anthropocentrée du monde, c’est-à-dire non centrée sur l’être humain. Ces textes, de hard law (droit contraignant) ou de soft law (droit non contraignant) ne sont pas isolés. Bien au contraire, une dynamique se met actuellement en place sur plusieurs points du globe qu’il faut centraliser et diffuser dans un réseau de savoirs et de connaissances.
La charte du droit du vivant renforce le nouveau modèle proposé par le programme Harmony with
Nature. Quels sont les principes de cette charte ? La Charte du Droit du Vivant, tout comme la Déclaration de Toulon, ajoute une nouvelle ligne à l’histoire de la jurisprudence de la Terre. Ces textes de référence, à vocation nationale ou internationale, visent la nature et les animaux qui y sont parties intégrantes. La Déclaration de Toulon est une réponse juridique à la Déclaration de Cambridge qui affirmait que les animaux sont dotés d’une forme de conscience, ce qui était encore contesté par certains. Puisque les animaux sont des êtres vivants, sensibles, intelligents et conscients, ils doivent être considérés comme des personnes au sens juridique. C’est le sens de la Déclaration de Toulon. La Charte du Droit du Vivant est un document autonome, différent de la Déclaration de Toulon, même si ces deux textes sont bien entendu complémentaires. La Charte contient seulement six articles, et les mots employés sont longuement réfléchis. On doit désormais prendre en compte les intérêts des humains et des non-humains, et c’est en ce sens que nous devons passer, conformément aux dispositions de la Charte, d’un droit « sur » le vivant à un droit « du » vivant.
Techniquement, la charte s’applique-t-elle, de fait, dans les États membres de l’ONU ? Peut-elle s’imposer dans le droit international ?
La Charte du Droit du Vivant a d’ores et déjà été déposée dans les archives du programme Harmony with Nature des Nations Unies. Elle est donc, de ce fait, immédiatement mobilisable. Elle entrera a minima dans la soft law c’est-à-dire un droit non contraignant mais qui peut être mis en oeuvre en cas de besoin par tous les acteurs qui voudraient faire évoluer favorablement le regard juridique sur le vivant. Le droit de l’environnement a démontré ses limites. Il convient de dépasser ce droit jugé inadapté, sinon inefficace, pour relever les prochains défis visant à la préservation des espèces et de l’écosystème. La Charte du Droit du Vivant revêt une dimension supplémentaire car elle pourrait être constitutionnalisée. Ce serait ainsi l’occasion de poser des principes de droit supérieur pour (ré)concilier les intérêts des humains et des non-humains. http://www.harmonywithnatureun.org/