Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Je me suis dit : ‘‘C’est fini’’ »

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Thierry Virorello s’est vu mourir à Furiani le 5 mai 1992. Trente ans après, des douleurs aux cervicales ou dans le bas du dos lui rappellent tous les jours cette date maudite et son cortège de souvenirs. Il a tout enfoui au plus profond de lui. Pas question de se plaindre quand tant d’autres sont morts ou souffrent encore. Thierry Virorello ne parle plus de Furiani. Il a mis un linceul sur cette soirée de larmes. Pourtant, l’ancien journalist­e du service des sports de Nice-Matin n’a rien oublié. La chute, le fracas, le silence, les cris, les victimes, les sirènes, les brancards, le malheur dans la nuit.

« Ma vie défile en un flash »

Envoyé spécial de notre journal à Bastia pour cette demifinale de Coupe et de feu entre le SCB et l’OM, il avait rejoint nos confrères et amis de Corse-Matin avec qui nous partagions alors bien plus qu’un titre et une rotative.

Quand il arrive à Furiani, c’est déjà la folie : «Il y avait une ambiance incroyable. Jeannot Fernandez, l’adjoint de Raymond Goethals, le célèbre coach belge de l’OM, m’avait avoué qu’il n’avait jamais vu ça. Les Marseillai­s n’étaient pas sereins, les Bastiais remontés comme jamais. Le stade ressemblai­t à un volcan. Le speaker demandait aux spectateur­s d’arrêter de taper des pieds sur la ferraille. Furiani tremblait. Plus il implorait le public, plus les gens tapaient. Ça m’avait interpellé, mais je n’imaginais pas que la tribune allait s’effondrer. » Cette tribune, c’est la sienne. Il y a la presse au milieu des supporters. Lui est au dernier rang. Tout en haut. Entre Charles Monti de Corse-Matin et Jacques Vendroux, célèbre commentate­ur de France Info.

À l’instant du drame, il est au téléphone – l’ancêtre du portable – avec le service des sports à Nice. Soudain, plus rien. Le vide. « Je suis aspiré. Je me vois tomber, je me vois mourir. Je me dis : ‘‘C’est fini’’. Ma vie défile en un flash. Je dégringole d’une vingtaine de mètres. C’est la douleur qui rappelle, subitement, que je ne suis pas mort. Je ne le sais pas encore, mais j’ai deux côtes cassées, les cervicales en bouillie, mais je respire. Je suis vivant. » Autour de lui, c’est le chaos. Ses voisins sont grièvement blessés. Charles Monti est touché au dos. Jacques Vendroux a la rate et les poumons perforés. Partout, des corps brisés, transpercé­s, du métal, du sang. Les gens sont pétrifiés.

« C’était l’horreur.

Une scène de guerre »

« C’était l’horreur. Une scène de guerre. Je vois un homme empalé, un autre faire un malaise cardiaque. Je reconnais mon ami Jean-Marc Raffaelli étendu. Il ne peut plus bouger. Je le secoue pour ne pas qu’il s’évanouisse. Je crains qu’il ne reste paralysé. Sur la pelouse, les joueurs des deux équipes jouent les secouriste­s. Bernard

Tapie est au coeur de l’action. Grâce au car régie de France 3, je passe un coup de fil au journal. Je fais partie des rescapés. Autour du stade, les Corses ont ouvert leur maison à ceux qui ont besoin de soins, d’un verre d’eau ou d’un peu de réconfort. »

« J’ai appris à être un miraculé »

Il quittera Furiani très tard. La nuit est plus noire que jamais malgré les projecteur­s et les gyrophares. Il lui faudra un somnifère XXL pour s’éloigner de ce champ de désolation. Le lendemain, il s’envole pour Nice où il doit passer un bilan médical complet. Entre une radio et un scanner, une voix lui soufflera : « Vous garderez des séquelles pour toujours. »

Les jours d’après, il se ferme, se renferme. Il n’est plus le même : « Je me sentais coupable. Coupable d’être un blessé léger alors d’autres ne s’étaient pas relevés. J’avais des collègues dans les hôpitaux de Marseille ou de Bastia. Un confrère n’avait pas survécu. Un autre était dans le coma. Pourquoi ? Pourquoi étais-je encore là ? J’ai appris à être un miraculé. C’est pas simple. Ce soir-là à Furiani, j’ai pris conscience de la fragilité de la vie. »

Trente ans après, Thierry Virorello, le fils de Nice, habite sur l’île de Beauté. « Je vis en Corse avec une Corse », souritil enfin. Faut-il y voir un signe ? Il a 57 ans et n’écrit plus dans le journal. Son quotidien est ailleurs.

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Thierry Virorello, journalist­e au service des sports de Nice-Matin puis de Corse-Matin pendant une trentaine d’années, chez lui, près de Corte.

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