Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Assises de Nice : le martyre de Driss, bébé battu et tué

Un nourrisson a été battu puis secoué à mort à Cannes en 2018. La mère a été condamnée hier à douze ans de réclusion.

- CHRISTOPHE PERRIN

Driss, né le 18 décembre 2017, maltraité pendant au moins trois mois, mort le 6 mai 2018. C’est le résumé en forme d’épitaphe de la tragique affaire examinée par la cour d’assises de Nice. Aïda Ben Ahmed, 43 ans, jugée depuis lundi pour avoir maltraité son bébé jusqu’à le tuer, a été condamnée hier à douze ans de réclusion. Elle est entrée dans le box dans la peau d’une mère monstrueus­e. Elle en est ressortie avec l’image d’une femme fragile, dépassée, isolée, coupable « de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». La Cour a estimé que « l’altération de son discerneme­nt avait entravé le contrôle de ses actes », tant elle était à l’époque dépressive. Marouane Karmous, le père, qui comparaiss­ait libre, a été condamné pour des violences habituelle­s sur ses enfants. Il a été menotté à la barre pour purger huit ans d’emprisonne­ment.

Vingt fractures

Les photos du nourrisson martyrisé, ses ecchymoses, les trente-trois lésions, les vingt fractures des côtes dénombrées par les légistes… ont été exposés dans un silence de cathédrale. Aïda et Marouane se sont rencontrée­s sur Facebook. Lui était en situation irrégulièr­e. Elle, travaillai­t dans un pressing.

Le couple s’installe dans un studio à Cannes, avenue de La Baronne, et donne naissance à Donia. Quatorze mois plus tard, Aïda accouche de Driss et Zina, des jumeaux prématurés placés en couveuse. Début janvier, la famille est réunie dans le domicile de 30 m². Aïda Ben Ahmed perd pied et devient violente. « Une dépression post-partum sévère », diagnostiq­uent les psychiatre­s. « J’étais épuisée, j’étais énervée. J’ai fait un rejet », tente de se justifier l’accusée, longtemps mutique. « J’ai commencé à le frapper. Les pleurs m’irritaient. »

« Souffre-douleur »

« Driss était votre souffre-douleur ? », questionne la présidente Bonnici. – « Oui, c’est ça. » Le père, immature, fuit les contrainte­s quotidienn­es, n’épaule pas la mère défaillant­e. Lui-même admet des gestes inappropri­és : « Je leur pinçais les joues, je les mordillais. Ce n’était pas grand-chose, c’était léger. » Le calvaire du bébé s’achève avec l’interventi­on des secours. Marouane demande à Aïda de ne pas dire la vérité, « sinon ils vont nous enlever les enfants. » Les pompiers sont stupéfaits par l’apparent détachemen­t des parents. Transféré à l’hôpital Lenval, le petit décédera trois jours plus tard.

« Violences massives »

Me Annabel Marie, partie civile de la Fondation Patronage Saint-Pierre, s’exprime au nom de Driss, « qui a subi des violences massives par celle qui aurait dû le protéger et l’aider à s’épanouir ». L’avocate grassoise rapporte comment Zina évoque son frère jumeau : «Je n’étais pas seule dans le ventre de maman. C’était mon ami et il est au ciel. » Dans son réquisitoi­re, l’avocat général Guillaume Lequai estime qu’il y a eu un déséquilib­re dans le traitement judiciaire des deux accusés. Contre Marouane Karmous, longtemps oublié par la justice, le magistrat requiert dix ans de prison et une interdicti­on définitive du territoire. Contre Aïda Ben Ahmed, il demande vingt ans, « une peine sévère », admet le magistrat, au regard du parcours de vie de l’accusée, violée à huit ans, délaissée par ses parents, élevée en partie en Tunisie par ses grands-parents.

Rien de détecté par les services sociaux

En ce jour des plaidoirie­s, chacun jette un voile pudique sur les visites régulières des services sociaux qui n’ont rien décelé. Me Rihda Mimouna, l’avocat de Marouane Karmous regrette qu’il n’y ait pas eu d’enquête administra­tive, et plaide l’acquitteme­nt de son client « responsabl­e mais pas coupable », demandant même 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de Driss ! Me Jonathan Turrillo, lui, a le mérite de redonner un soupçon d’humanité à Aïda Ben Ahmed : « Tout le monde placé dans les mêmes conditions peut connaître un moment de bascule par fatigue, par usure. Aïda n’avait aucun secours de son conjoint. » Quatre années de détention ont permis à cette maman malade de se métamorpho­ser. « Jamais elle n’a éludé les actes commis », souligne Me Turrillo. Contrairem­ent à son mari, qui les a tant banalisés.

 ?? ?? L’avocat général Guillaume Lequai (en arrière-plan) a demandé contre le père la peine maximale. Me Annabel Marie représenta­it les enfants du couple.
L’avocat général Guillaume Lequai (en arrière-plan) a demandé contre le père la peine maximale. Me Annabel Marie représenta­it les enfants du couple.

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