Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Eric Canino LE CHEF QUI MARCHAIT SUR L’EAU

Depuis l’ouverture de l’hôtel La Réserve, en 2009 à Ramatuelle, le Manosquin fait des merveilles avec sa cuisine bien-être, auréolée de 2 étoiles. Une distinctio­n à la hauteur de ce combattant.

- RAPHAËL COIFFIER rcoiffier@nicematin.fr

Large d’épaules. Solide comme une roche des Alpes de sa Haute-Provence. À la main serrée, Eric Canino ne ment pas. Sur sa nature d’homme du terroir, passé de la montagne à la mer, jusqu’à en atteindre les sommets émouvants.

Le chef des restaurant­s de l’hôtel La Réserve, à Ramatuelle, est arrivé dans cet Eden de dix hectares (propriété de Michel Reybier) sur la pointe du couteau, à l’ouverture, en 2009. Après une longue odyssée formatrice débutée à 13 ans non loin de chez lui, à Volx (Alpes-de-Haute-Provence). Pour quelques sous, écopés au fond de l’évier. « Je faisais la plonge dans une pizzeria », se souvient-il. Jusqu’à l’accident du cuistot. « J’ai proposé de le remplacer au culot. Je cuisinais des trucs simples. Je l’avais observé. »

Il n’avait encore jamais fait ça. Mais déjà, à la première entrecôte au Roquefort, il a saisi le sel de ce métier. Appelé à devenir son art. Si bien que l’écolier dissipé – « je pensais surtout à faire le con ! » – intégrera l’école hôtelière de son fief, Manosque, pour trois ans d’apprentiss­age assidu. Engloutir les bases, entre deux parties de foot et une sortie à moto, ses exutoires...

Ensuite, de cette chrysalide, il a battu des ailes ici et là. Au pied de la tige. « J’ai appris. Fait des saisons. » Jusqu’à butiner la fleur de la Chaîne Thermale du Soleil à Gréoux-les-Bains. Jusqu’à son éclosion au contact de la cuisine bienêtre du grand Michel Guérard.

Fabuleuse cuisson à l’eau de mer

Une révélation pour le discret créateur. « J’étais libre de ma carte. Et c’est là que je me suis amusé à cuisiner sans matière grasse, sans beurre. En ne gardant que l’huile d’olive. » Une hérésie aux yeux de certains. Une saine philosophi­e de vie pour lui. « Il m’a fallu faire d’énormes recherches. C’était hyper enrichissa­nt. » L’alchimiste n’a depuis jamais plus franchi la ligne jaune, renforçant même cette ligne de conduite en son nouveau paradis terrestre ramatuello­is. « En deux, trois ans, on a cassé les codes. À tous les étages. Qu’il s’agisse de la décoration, du service, de la nourriture. Le mot d’ordre, c’est simplicité. La simplicité, c’est le luxe. Chez nous, il n’y a pas de tralala... »

Juste le raffinemen­t de l’assiette. Avec, par exemple, un « thon rouge frotté aux épices du voyage, Niçoise acidulée et tarte fine de ventrèche » ou une betterave à l’eau de mer... Une cuisson particuliè­re qu’il a mis des années à maîtriser. « Pour la concentrat­ion du goût, cette technique est parfaite. » Pour attiser la curiosité aussi. En même temps, sur la houle des plats de Canino, tout est bouleversa­nt. À son image. Pour qui prend le temps de tourner la page des apparences. De ne pas le brusquer lorsqu’il évoque tant de belles choses à partager, après tant de douleurs. Ce cancer en 2018. Ces chimios intensives. Le trou noir après sa première étoile en 2015. « Physiqueme­nt, c’était dur. Mais je venais travailler quand même. Je disais à l’équipe : “Allez, on se fait plaisir”. Je n’ai pas voulu baisser de pied. »

Il y a aussi cette disparitio­n. Celle de son pilier. Son père. Que l’évocation d’un chapon cabossé ravive. La rosée du crépuscule troublant doucement son regard. « C’est le dernier plat que je lui ai préparé pour Noël. » Inoubliabl­e message, si personnel, qu’il conserve à l’abri, près du coeur. Comme une force pour avancer. En toute humilité. Même à la lumière de sa deuxième étoile scintillan­te, à laquelle le résilient ne s’attendait pas forcément. « Elle est encore plus belle que la première. La convocatio­n à Paris était magique. Je pouvais marcher sur l’eau ! » Souffler sur les nuages, après l’orage.

Renaître. « Sans se prendre la tête ».

À la barre d’un palace où chaque jour il décroche la lune. Quelle que soit la galaxie où il invite au voyage.

« En deux, trois ans, on a cassé les codes. Le mot d’ordre, c’est simplicité »

Farandole de légumes au menu Côté Jardin

Au Japonais, sur la terrasse au soleil couchant. À la plage ou au Pool Restaurant, sur le pouce et les pieds dans l’eau. À La Voile ,oùsa cuisine méditerran­éenne laisse pantois. Avec son menu Dégustatio­n (à 220 euros) ou celui Côté Jardin (à 160 euros), ode aux légumes de saison qu’il vénère et sublime.

Bien sûr, il y a aussi la carte aux trésors. Avec sa volaille de Bresse et homard, ses huîtres de Tamaris, son banc de rouget, lotte et daurade, qu’Eric et son second, Albéric Hay, sélectionn­ent au quotidien avec soin. Sans oublier les douceurs du chef pâtissier, Christian Le Corroller, comme cette tartelette à la crème ricotta, tombé de blettes, sorbet miel et ricotta, pignons caramélisé­s... Peut-être bien du 3 étoiles ! « Je n’y pense pas. Je n’ai pas cette prétention. Pour moi, l’essentiel, c’est le plaisir des clients. Et pour ça, il faut sans cesse se remettre en question. » Alors il se réinvente. Faisant la part belle à son instinct qui ne l’a jamais trahi. Il continue ainsi à marcher sur l’eau ?

Les restaurant­s de l’hôtel La Réserve. Chemin de la Quessine, à Ramatuelle. Ouvert jusqu’au 10 octobre. Tél. 04.94.44.94.44.

Rés. reservatio­ns@lareserve-ramatuelle.com

 ?? (Photo Philippe Arnassan) ?? Les pieds sur terre et le regard tourné vers le large : Eric Canino a su, en toute discrétion, braver les tempêtes pour signer une cuisine incomparab­le.
(Photo Philippe Arnassan) Les pieds sur terre et le regard tourné vers le large : Eric Canino a su, en toute discrétion, braver les tempêtes pour signer une cuisine incomparab­le.

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