Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Faire des chants odieux sur la mort d’un supporter ou d’un joueur adverse, ce n’est pas nouveau »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE PEYRET

On était habitué aux banderoles brandies par les supporters, mais avec ce chant, une nouvelle étape est-elle franchie ?

Non. Ce chant choquant correspond à une culture des supporters les plus radicaux qui existe depuis les années 70 en Italie, et 80 en France. Elle consiste à s’opposer aux adversaire­s de la manière la plus provocante possible. Ces supporters utilisent le mauvais goût, les aspects les plus sensibles pour dénigrer l’adversaire. Cela passe par des banderoles, comme celle déployée par les Parisiens contre les Ch’tis (en 2008, au Stade de France, la banderole « Pédophiles, chômeurs, consanguin­s : bienvenue chez les Ch’tis » avait été déployée lors de la rencontre PSG - Lens, Ndlr), par des chants qui oscillent entre violence et ironie. C’est un registre de provocatio­n fréquent chez certains supporters. À l’époque de la grosse rivalité entre Nice et

Toulon, à la fin des années 80, un immeuble s’était effondré à Toulon. Les ultras niçois avaient sorti une banderole disant :

« 13 morts, merci l’immeuble. »

Pourquoi ce cas fait autant réagir ? En face, il ne s’agissait que de Saint-Etienne, et non de Nantes…

Il est fréquent que les supporters radicaux insultent l’adversaire juste avant ou juste après le match qui les oppose. Là, il y a un effet de proximité lié à la finale contre Nantes. Ces supporters ont l’habitude de s’insulter de manière virulente entre eux, de se moquer des morts de l’autre. Quelque part, ils banalisent ces insultes. Mais comme leurs slogans insultants s’expriment publiqueme­nt dans le stade, ils débordent leur petit monde de supporters. Dans ce cas-là, le chant touche la famille d’Emiliano Sala, des supporters de ce joueur qui ne sont pas coutumiers de ces insultes et qui sont choqués. Il y a une confrontat­ion entre une culture de l’insulte et de la provocatio­n qui est propre à ces supporters radicaux et le fait que ce registre insultant touche des gens qui ne partagent pas ces codes et les désapprouv­ent.

Le maire de Nice demande à ce que soient identifiés les gens qui ont entonné ces chants, est-ce illusoire ?

Il y a déjà la question de savoir si c’est à la justice de se saisir du fait ou aux instances sportives. A priori, c’est avant tout à la justice d’agir. La loi pénalise l’incitation à la haine dans les stades. Est-ce que ce chant peut être considéré comme tel ? C’est aux juristes d’étudier ce que la loi permet de faire dans ce cas. Suite à la banderole anti-Ch’tis, des supporters parisiens avaient été poursuivis et sanctionné­s pour provocatio­n à la haine.

Des sanctions sportives peuvent-elles être envisagées ?

C’est une situation difficile. Le club a immédiatem­ent dénoncé les insultes et l’entraîneur niçois a pris une position très ferme en conférence de presse. Il est normal que ce chant suscite de l’indignatio­n, mais avant de réclamer telle ou telle sanction, il faut étudier ce qui serait le plus pertinent dans ce cas précis.

Après le jet de bouteille sur le joueur de Marseille Dimitri Payet et l’envahissem­ent de terrain en août dernier, cette saison est agitée pour les supporters niçois…

Certes… La culture de la provocatio­n propre à certains supporters n’est pas propre à Nice. La semaine dernière, des supporters du Feyenoord Rotterdam (dont l’équipe était opposée à Marseille, Ndlr) se sont moqués de la mort d’un ultra algérien proche des ultras marseillai­s. Faire des chants odieux sur la mort d’un supporter ou d’un joueur adverse, ce n’est pas nouveau. Mais les ultras niçois aiment bien ce registre provocateu­r. Il faut aussi prendre en compte le fait que la société française a évolué sur ces sujets : certaines provocatio­ns des supporters ont longtemps été jugées comme choquantes mais aussi comme faisant partie du « folklore » du football. Désormais ces insultes ne sont plus acceptées, c’est pourquoi l’indignatio­n est plus forte qu’il y a 20 ou 30 ans.

Quelle peut être la réaction des supporters nantais ? Faut-il craindre un effet d’entraîneme­nt ?

Ce chant peut inciter les ultras nantais à réaffirmer leur attachemen­t à Emiliano Sala et peut renforcer la rivalité entre les ultras des deux camps, qui était déjà bien installée. Mais je ne pense pas qu’il y ait un effet d’entraîneme­nt, puisque les supporters radicaux sont habitués à ces insultes. Au contraire, les réactions très fortes des acteurs sportifs et politiques permettent de réaffirmer que ces insultes ne sont pas acceptable­s.

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