Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Where is the beef ?
« Macron brise les codes de la vie politique. »
Peut-il arriver à ses fins ? A-t-il les moyens de réussir là où tant d’autres avant lui ont échoué, c’est-à-dire de faire turbuler le « système » et provoquer, autour de lui, cette « recomposition » qui est à la vie politique française ce que la matière noire est à l’univers. « Il » ? Emmanuel Macron, bien sûr. L’impondérable, l’inclassable, la variable inconnue de l’équation . A ces questions, on répond, à droite comme à gauche, par une moue incrédule. Macron ? « Une aventure solitaire », vous dit-on, « une opération de marketing », « une bulle médiatique… » Même pas peur. Mais ne vous y trompez pas. Dans ces haussements d’épaule, il y a plus d’inquiétude inavouée que de tranquille certitude. En témoigne le coup de pression de JeanChristophe Cambadélis menaçant d’exclure du PS ceux qui soutiendraient le renégat à la présidentielle. Nul ne sait ce que sera l’effet Macron. Pour l’heure, ce n’est encore qu’une virtualité ; mais il y a la place en France pour une offre politique nouvelle. Et le ministre démissionnaire est le mieux placé pour l’occuper. Il est jeune, souriant, séduisant (plus séduisant, en petit comité, que ne le laisse paraître le parler amidonné et technocratique dont il use dans ses interventions publiques). C’est assez pour taper dans l’oeil d’une opinion publique en attente d’autre chose, d’autres têtes. Il brise les codes de la vie politique ; pour sortir du sempiternel affrontement gauche-droite, facteur de sclérose intellectuelle et d’impuissance publique, il invite les « progressistes » à se rassembler derrière lui, ni à gauche ni à droite, mais « en marche ». Là encore, il est en phase avec une grande partie des citoyens : cela fait des années que les Français, dans les sondages, plébiscitent l’idée d’union nationale – cette arlésienne de la Ve République. Bref, aux yeux d’une opinion lassée des jeux politiciens et qui, d’alternance en alternance, est allée de déception en déception, Emmanuel Macron incarne une promesse de renouvellement. C’est déjà beaucoup. Mais c’est un peu court. « Where is the beef ? » (où est la viande) () Pour l’heure, on le cherche. Le candidat virtuel n’a à la bouche que les mots « changement », « renouveau », « modernité ». Mais de mesures concrètes, point. Le programme reste en pointillé. Il y travaille. Publication promise dans quelques semaines. Ce sera l’heure de la clarification. Et même un moment de vérité. L’épreuve, pour lui, n’est pas sans danger. Car si sa cote de sympathie le place au deuxième rang, juste derrière Alain Juppé, sa position sur l’échiquier politique, en gros « libérale-libérale », c’est-à-dire plutôt à droite en économie, clairement à gauche sur les thèmes sociétaux, semble passablement décalée par rapport au centre de gravité d’une société française qui exprime surtout le besoin de sécurité et d’autorité. A lui de démontrer qu’il peut dessiner un projet pour toute la France, et pas seulement pour les tenants de la mondialisation heureuse. Un projet suffisamment fédérateur pour dessiner les contours de possibles alliances politiques. Où l’on voit les limites d’une certaine rhétorique anti-partis… Me revient en mémoire une conversation avec François Bayrou, après sa brillante et infructueuse campagne de : – Pourquoi avez-vous échoué ? – Parce que je n’ai pas su répondre à cette simple question : avec qui comptez-vous gouverner ? Avec qui ? Si Macron veut aller à la présidentielle et y faire plus que de la figuration, il ne peut éluder cette question. Car les Français ne manqueront pas de la lui poser. On n’est plus dans le « ni-ni », là. On est dans le « et-et ». Qui est l’opération la plus difficile à réaliser en politique.
. Apostrophe lancée par le sénateur Mondale à Gary Hart, lors d’un débat télévisé.