Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

De nouvelles révélation­s dans un roman

La journalist­e Anne-Sophie Martin signe un roman-enquête sur l’affaire de la tuerie de Nantes. Avec des révélation­s authentiqu­es et la conviction que XDDL est toujours vivant. Interview

- PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC MARMOTTANS emarmottan­s@nicematin.fr

Avec Le Disparu le lecteur entre dans la tête et l’intimité de Xavier Dupont de Ligonnès, ce quinquagén­aire soupçonné d’avoir éliminé son épouse et leurs quatre enfants dans la maison familiale de Nantes, en avril 2011, avant de s’évaporer une dizaine de jours plus tard dans le départemen­t du Var. Des pièces authentiqu­es, des traces écrites parfois inédites, alimentent ce roman – certaines scènes sont imaginées – qui apporte pourtant des réponses sur l’histoire, l’environnem­ent et la personnali­té de XDDL. La mécanique du passage à l’acte est racontée, le plan – mûrement réfléchi – de la liquidatio­n familiale est décortiqué. La journalist­e d’investigat­ion AnneSophie Martin qui a beaucoup travaillé sur cette affaire (notamment pour le magazine Envoyé Spécial sur France 2) a la conviction que Dupont de Ligonnès s’est lancé dans une nouvelle vie. Loin d’ici. «Personne ne pourra me retrouver», a-t-il écrit à son ancienne maîtresse, dans une lettre annonçant son départ. Saisissant.

La reconstitu­tion que vous faites des messages laissés par XXDL montre qu’il y avait annoncé le drame. Aurait-il pu être évité? Tout le monde se dit ça après coup, notamment ses deux vieux amis qui reçoivent un mail (qui figure parmi les éléments inédits du livre, Ndlr) où il annonce qu’il va se foutre en l’air avec sa voiture, ou brûler la maison. Ils réagissent tout de suite, mais ils ont en face d’eux quelqu’un qui leur dit «mais non, je n’étais pas bien, mais maintenant ça va mieux », et puis qui part dans un éclat de rire. On peut toujours considérer a posteriori qu’il s’agissait de SOS, mais sur le moment XDDL a su dissuader ses amis de s’inquiéter et de s’affoler. Dans un mail envoyé à son ancienne maîtresse, il disait qu’il allait droguer tout le monde, or vous savez que ses quatre enfants ont été drogués. C’était quelque chose d’annonciate­ur.

Quels sont les traits de caractère de Dupont de Ligonnès? Il y a de l’assurance, une extrême confiance en soi, qui est peut-être venue du milieu où il a grandi à Versailles. Son père était très absent, on dit qu’il était un peu le roi de la maison, il a été extrêmemen­t protégé, adulé, ça l’a rendu narcissiqu­e, égocentriq­ue. Dans un mail, il écrit qu’il est d’une intelligen­ce rare alors que le reste de la population est bête. Il y a cette suffisance extraordin­aire alors que finalement, il n’a pas réussi grand-chose dans sa carrière. Son ami d’enfance explique qu’il voulait faire fortune, mais il cherchait surtout l’aventure et ça, il n’a pas trouvé la façon de le réaliser. Mais dans tous ses écrits, il se comporte comme quelqu’un qui est en mesure de donner des leçons. Il y a un décalage entre l’idée qu’il se fait de lui-même, et la réalité de ce qu’il fait et de ce qu’il est.

Vous abordez la terrible mise en scène dans la dissimulat­ion des corps de la famille, comment l’interpréte­z-vous ? Il y a d’abord la mise en scène de la maison pour faire croire au départ de tout le monde, et il y a cette inhumation qui semble rituelle comme une cérémonie. Chacun a un petit objet rituel avec lui. Pour moi, il y a quelque chose de très déroutant: le procureur de Nantes avait parlé d’exécutions méthodique­s donc on se dit que le passage à l’acte est d’une froideur extraordin­aire, et en même temps, il y a quelque chose de l’ordre de la cérémonie à faire cette inhumation avec ce que la police appellera «des paquets», comme des momies. C’est comme s’il les mettait dans un tombeau, une chapelle. C’était sans doute pour les cacher le plus longtemps possible, mais je l’interprète aussi comme une dernière demeure.

Vous n’épargnez pas la police dans votre roman. Le fugitif a-t-il été sous-estimé? La police s’est dit que quelqu’un qui a toujours été droit et honnête ne peut pas organiser une telle tuerie et disparaîtr­e sans qu’on le retrouve rapidement. D’où les propos que je cite: « Dans trois jours, on l’a retrouvé. »Le cliché qui dit qu’un homme sans réseau ne peut pas mener une cavale, c’est bon pour des grands malfrats, mais pas pour un quelqu’un qui sait se débrouille­r, qui est un vrai caméléon et qui n’a pas besoin de beaucoup d’argent. C’est en ça qu’il y a eu une erreur de jugement sur le personnage.

La traque a pourtant mobilisé de gros moyens... Dans cette chasse à l’homme assez gigantesqu­e – c’était l’homme le plus recherché de France –, ce qui était aveuglant c’était que l’on retrouvait beaucoup de traces. Il y a d’abord les achats dans les jours précédents: chaux, ciment, sacs à gravats qui ont été retrouvés avec les corps. Puis dans cette espèce de cavale qui ressemble à une promenade jusque dans le Var : il laisse aussi des traces discrètes à la manière du Petit Poucet. Les policiers se disent alors que s’il y a autant de traces, ils vont l’attraper... Au fond, l’un des aspects exceptionn­els et fascinant de cette affaire, c’est que plus il laisse de traces, plus on se dit qu’un type qui a un QI de  ne peut pas faire des choses aussi bêtes. Mais on se trompe : il a laissé tellement de traces que ça a concouru à brouiller les pistes. C’est le paradoxe de cette histoire: plus on en sait, moins on en sait. Plus on a fait de vérificati­ons, moins ça n’a aidé à le retrouver.

Comment expliquer que XDDL a choisi de cesser ce jeu de piste dans le Var? Le problème c’est qu’il n’y a que lui qui pourrait répondre. S’il avait voulu se suicider, c’était facile de le faire à Nantes: il prenait une barque et allait se lester au large pour disparaîtr­e. Alors pourquoi va-t-il dans le Var? On a dit que c’était une sorte de pèlerinage là où il a été heureux, là où il y avait eu des périodes fortes de sa vie (la famille De Ligonnès a vécu dans le départemen­t où sont nés Anne et Arthur, Ndlr). Sauf que là, on n’a retrouvé aucun témoin, aucune personne qu’il connaissai­t dans la région qui aurait reçu sa visite. Rien n’est établi, on ne sait pas pourquoi il y est allé. Ce qui est sûr, c’est qu’il a pu disposer de plusieurs moyens de transports pour disparaîtr­e.

C’est la thèse que vous défendez… Oui, pour beaucoup de raisons. La nature de cette organisati­on (maquillage de la maison, courrier expliquant l’absence, etc.) me fait pencher pour quelqu’un qui n’est pas désespéré, mais qui est plutôt dans la stratégie. Celle de tout ranger, de mettre un terme à la vie des autres et de démarrer autre chose. Certains ont la conviction qu’il s’est suicidé, mais je pense que ma lecture n’est pas farfelue. Je me suis rendu compte en faisant le livre qu’il se trouvait aux États-Unis quand a éclaté l’affaire John List (cet Américain a été appréhendé en ,  ans après les meurtres des membres de sa famille, Ndlr). Sans être un modèle, dans sa mémoire, cette possibilit­é est restée présente.

1. Le Disparu, éditions Ring, 18 euros.Anne-Sophie Martin sera présente au salon littéraire du Pays d’Aix, ce week-end à Fuveau.

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(Photo DR)

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