Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Michel Onfray : « D’où vient le terrorisme?»
Le philosophe, ancré dans son époque et fidèle à une gauche anti-libérale, est un homme libre. Le Normand, qui a lancé sa web TV en septembre, souhaite parler au plus grand nombre
Les réactions passionnelles suscitées par ses analyses post-attentat ne le font pas dévier son chemin. Michel Onfray reste le même, libre. Le philosophe a créé une web TV, en septembre, baptisée michelonfray.com. « Il y a une dizaine d’années de tournages amateurs de cours donnés à l’Université populaire de Caen (créée par Michel Onfray en 2002, Ndlr) qui vont être mis en ligne pour sa partie gratuite. [...] Il y aura une partie dans laquelle j’interviendrai pour commenter l’actualité sur des sujets de mon choix », confie le Normand. Rencontre avec un homme connecté avec son époque.
Quelle est la place du philosophe dans la cité du XXIe siècle? Le philosophe n’existe pas, il existe des philosophes. Certains se font payer très cher, par des laboratoires de pharmacie, des conférences où ils enfilent des perles mondaines en citant Spinoza ou Hegel ; d’autres distribuent leur savoir lors de croisières, semble-t-il très bien payées, ou dans des principautés pour amuser des princesses; d’autres invitent des chefs d’État à bombarder des populations innocentes au nom des droits de l’homme; d’autres encore s’étranglent quand on leur fait savoir que ceci explique peut-être cela. Comme vous voyez, tout est possible…
Vous aimez justement expliquer qu’un philosophe ne doit pas penser en dehors de la réalité de son époque. En intervenant après les attentats commis par Daesh et en déclarant que « droite et gauche avaient semé la guerre contre l’islam politique », vous vous êtes retrouvé au coeur de violentes polémiques. Vous le regrettez ? D’abord, je n’ai jamais dit ça. C’est ce que les journalistes qui, eux, aiment la polémique, m’ont fait dire. Ensuite, j’ai fait mon travail en posant la question que tout philosophe devrait poser : « D’où vient le terrorisme? » Soigner une maladie suppose qu’on en connaisse d’abord la cause. Certains renvoient à la mauvaiseté congénitale des terroristes, au caractère intrinsèquement violent de l’islam : on n’est guère avancés! Pour ma part, je mets ce terrorisme comme partiellement en relation avec notre politique étrangère indexée depuis sur celle des États-Unis qui bombardent des pays musulmans et ont fait millions de morts, musulmans, depuis cette date. L’Islande est-elle attaquée? Et la Suisse? Et le Portugal? Et l’Irlande? Étonnant, non?
Votre athéisme vous amène-t-il à penser que les religions, quelles qu’elles soient, sont sources de fanatisme et de déséquilibre ? L’athée que je suis ne croit pas que l’athéisme soit plus une garantie contre la barbarie que la religion. Il y a des athées barbares, Lénine, Staline, Mao, et des croyants qui font avancer la civilisation, Montaigne, François d’Assise, Bach, Michel-Ange par exemple.
Vous avez déclaré, à propos des polémiques sur le burkini, que « nous étions en train de nous occuper des petites choses ». Quelle est, selon vous, la grande chose dont il faut s’occuper en priorité? Il faut s’attaquer aux causes de la maladie, pas à ses symptômes. C’est une leçon élémentaire en matière de médecine – de l’âme ou du corps, des individus ou des civilisations... Le burkini est un symptôme, comme le voile. Il faut moins s’intéresser à ce qu’il y a sur les têtes que dans les têtes. La répression contre un vêtement n’aura aucune autre incidence sur le cours des choses, dans cette guerre civile qui s’annonce, que d’augmenter l’animosité. Quand poserat-on la bonne question qui est : « Pourquoi en sommes-nous arrivés-là? » Avant de pouvoir conclure à ce qu’il faut faire pour désamorcer, autant que faire se peut, cette guerre qui vient. Je persiste à penser qu’augmenter les bombardements sur Daesh, autrement dit sur les anciens territoires de l’Irak détruits par nos bonnes âmes qui se prétendent humanistes et de la Syrie, n’est pas la meilleure façon de tarir la source terroriste qui se trouve en France. La petite chose, c’est le burkini. La grande, c’est une politique étrangère à refondre. Vous dénoncez la débilité de certaines émissions télévisées – je pense à vos déclarations concernant Cyril Hanouna – qui contribuent, selon vous, à une radicalisation des jeunes. Est-ce à dire que le manque d’instruction contribue au fanatisme et au terrorisme? Les médias de masse ont transformé le peuple qui, jadis, était éduqué par l’école laïque, gratuite et obligatoire, en populace abrutie à coup d’émissions consternantes. Ce qui fait que ces décérébrés peuvent en effet tout aussi bien croire qu’en écrasant un enfant dans sa poussette on va directement au paradis où les attendent des vierges ou bien, disons, que le terrorisme ici n’a rien à voir avec ce que fait l’Occident dans les pays de l’umma, la communauté musulmane !
Vos échanges, vos participations à certains talk-shows, vos déclarations sur les réseaux sociaux ne contribuent-elles pas à transformer l’intellectuel en simple polémiste? Et à vous rendre finalement moins audible? Tout dépend des questions que l’on me pose… Mais les médias de masse ne veulent pas le débat, l’analyse, la réflexion, ils souhaitent la polémique, l’agressivité, la méchanceté qui sont les meilleurs ingrédients pour produire l’audimat qui permet aux animateurs d’être reconduits dans leurs émissions et augmentés la saison suivante. Voilà pourquoi je crée ma web TV en septembre...
Quel va être son contenu et quel sera votre rôle ?
Elle va s’appeler michelonfray.com. Je l’ai voulue comme l’occasion de faire entendre la voix de mes compagnons de l’Université populaire de Caen qui y enseignent bénévolement! Il y a donc une dizaine d’années de tournages amateurs de ces courslà qui vont être mis en ligne pour sa partie gratuite. Puis il y aura également mes cours, ceux,
anciens, de la Contre-histoire de la philosophie, mais aussi ceux, récents, de la Brève Encyclopédie du monde. Enfin, il y aura une partie dans laquelle j’interviendrai pour commenter l’actualité sur des sujets de mon choix, avec des formats de mon choix. Nous travaillons avec une maison de production parisienne qui assure la partie technique. Ce qui m’oblige à en faire un média en partie payant ( euros par mois ou euros pour l’année, Ndlr).
Vous avez été un militant de la gauche extrême et vous avouez aujourd’hui votre dédain « de toutes les classes politiques ». Une forme de renoncement? Non. Gauche extrême, sûrement pas. J’ai soutenu un temps Besancenot quand il prétendait sortir la gauche extrême de son extrémisme afin, disait-il, d’en faire une dynamique mouvementiste, libertaire, féministe et écologiste. J’ai vite compris qu’il voulait juste repeindre la façade mais garder les mêmes produits avariés en magasin. Je suis resté fidèle à ma gauche, elle est antilibérale. Être fidèle à une gauche devenue infidèle n’est pas fidélité mais bêtise. Je n’ai renoncé à rien. Mais regardez autour de vous, à gauche, il est facile de voir depuis le virage libéral de qui a renoncé à être de gauche!
Il faut s’attaquer à la maladie pas à ses symptômes comme le burkini” Les médias de masse veulent la polémique et l’agressivité”