Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
« On ne peut pas préparer un homme à la mort »
Pourquoi avoir élu domicile au centre montagne de Beuil ? Il s’agit de l’un des derniers centres militaires, dans un lieu que j’ai toujours trouvé exceptionnel : le Mercantour. Un lieu ouvert sur la montagne, la nature et de nombreux horizons. On est à la fois proche de Nice et suffisamment isolé pour travailler ensemble, avoir des temps de réflexion personnelle et collectifs. Beuil constitue une belle opportunité.
Ce contexte permet-il de jouer sur « l’esprit montagne » ? Oui, car dans ce stage de ressources humaines, on travaille tout particulièrement la paroi, l’escalade et les valeurs qu’elle véhicule : l’audace, la maîtrise de soi, l’échange avec son camarade, la confiance en l’autre et soi-même. Et il y a ce côté dichotomique entre la paroi rassurante et le vide derrière soi.
Certains cumulent blessures physiques et psychologiques ? La plupart de nos camarades sont jeunes et sportifs. Mais l’isolement qu’ils ont connu les a parfois éloignés des activités sportives. On les amène donc à une reprise progressive, en ne les mettant jamais en situation d’échec. Et si l’un d’eux ne se sent pas de passer le cap, on l’accompagne. C’est une aventure humaine. Jusqu’à présent, tout le monde est allé au bout !
Qui sont les postulants à ce stage ? Des blessés psychiques arrivés au terme de leur parcours de soins. Quand les médecins nous proposent ces blessés, ceux-ci sont en mesure d’identifier leurs blessures, de respecter le protocole médical, et ils expriment la volonté de se réinsérer.
Comment la Cabat les aide-t-elle à se reconstruire ? Elle jalonne un parcours de soins jusqu’à la sortie du tunnel, qui se situe ici. À leur arrivée, ils sont très tendus, sur leurs gardes. Alors, au travers d’activités sportives, on travaille sur les valeurs : le goût des autres, l’estime de soi, l’apprentissage du sourire... Il y a beaucoup d’humour ici. Les plus belles images qui restent, c’est de voir des gens arriver le regard vide et repartir avec un grand sourire. C’est énorme!
D’où vient leur traumatisme et le stress qui s’ensuit ? Certains ici ont été impactés dès le Liban et Sarajevo. Mais la plupart l’ont été en Afghanistan, au Mali et en Centrafrique. On ne peut pas préparer un homme à la mort ! L’opération Sangaris notamment, en République centrafricaine, a été extrêmement dure. Vous êtes un jeune militaire de ans, vous vous retrouvez entre deux camps et vous voyez de telles horreurs, sans plus savoir où se situent le bien et le mal... La blessure psychique, elle, ne se déclare qu’après un temps de latence. C’est ainsi qu’un camarade a éclaté en vol au Mali alors que son trauma venait de Srebenica! Il était chef de groupe et, d’un coup, s’est rendu compte qu’il ne contrôlait plus sa capacité à gérer ses tirs. Il est rentré et a dit : “Je ne peux plus commander”.
Ces soldats viennent-ils tourner la page de l’armée ? La plupart font le choix de quitter l’institution. Le syndrome post-traumatique de guerre, c’est l’effraction de la mort dans la vie; or, reprendre les armes, retourner au combat et connaître la mort à nouveau est un risque trop important. Ils le savent. Le paradoxe, c’est qu’ils sont très attachés à l’institution ! Ces gens-là ont connu le feu, des choses extrêmement fortes. Alors, on les aide à transposer leur savoirfaire militaire en savoir-faire civil. Ce stage, c’est une transition. C’est le passage de «sergent-chef» à «monsieur».
Que se passe-t-il à l’issue du stage? Pour les plus avancés, on peut déjà prévoir une immersion en entreprise ou une réinsertion militaire. Pour d’autres, on cible des formations. D’autres encore repartent en soins pour être beaucoup plus maîtres d’eux-mêmes. Enfin, environ % ont toujours besoin de soins.
Comment ont-ils ressenti les attentats sur le sol français? Ces attaques ont eu une résonance très importante. D’abord,
à cause du sentiment de n’être en sécurité nulle part. Mais aussi parce que certains ont eu des camarades civils blessés.