Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

-Juillet à Nice : la belle histoire d’Emma et Sébastien

Ce Parisien de 44 ans a tenu la main de l’adolescent­e, l’a réconforté­e, en pleine fusillade Elle venait de perdre sa grand-mère, sa tante et son oncle dans l’attentat

- STÉPHANIE GASIGLIA

C’est une histoire de hasard et d’humanité. Et de courage aussi. Une histoire qui a commencé dans le fracas et l’abominatio­n du 14-Juillet, peu après 22h30. Et qui a voulu se taire par pudeur, jusqu’à aujourd’hui. Une histoire qui prouve que de belles choses peuvent naître, en un souffle, même dans l’horreur absolue. Cette histoire, c’est celle de Sébastien, un Parisien de 44 ans, et d’Emma, 13 ans, deux étoiles loin d’être contraires. Deux inconnus avant le passage du camion fou. Deux êtres liés pour la vie quelques minutes après. «Dès que je lui ai pris la main, C’était comme si c’était ma fille», sourit aujourd’hui celui qui est devenu un membre de la famille. Une famille décimée ce funeste soir-là.

Elle ne cessait de répéter « Où est ma famille ? »

Emma habite à l’année au Gabon. Elle est venue passer des vacances chez sa grand-mère, Jocelyne, avec ses deux soeurs, Dina et Souad, et sa maman, Sonia. Le papa est resté en Afrique. « C’était les élections au Gabon, et ma mère et mon mari ont voulu qu’on soit en sécurité à Nice pendant cette période trouble. Et finalement, on est en sécurité nulle part », chuchote Sonia. Le soir du 14 juillet, alors que sa maman et sa plus grande soeur, Dina, sont parties en Bretagne pour quelques jours, Emma est sur la Prom’. Le camion tue sur le coup sa mamie, sa tante et le compagnon de celle-ci. Emma est percutée, alors que Souad, un peu en retrait, esquive le camion. Emma est à terre, grièvement blessée. Sur la chaussée, Sébastien attend que sa compagne termine son travail au Marriott. Il a regardé le feu d’artifice au milieu de la foule. Serein. Il marche. Télécharge une appli sur son téléphone. Soudain, le camion passe tout près de lui. « Je l’ai vu écraser tout le monde, j’ai cru que c’était un accident. J’étais au milieu des cadavres, et puis j’ai tourné la tête.» Sébastien croise le regard d’Emma. «Elle était vivante», dit-il. Vivante au milieu des morts. Tant de morts. Sébastien s’approche et lui prend la main, alors que le camion poursuit sa course meurtrière. «Ensuite, il y a eu la fusillade. Là, j’ai compris que c’était un attentat.» Ça tire, ça hurle, ça court dans tous les sens. La police, arme au poing, crie à tout le monde de se mettre à l’abri. Sébastien lâche la main d’Emma, fait quelques pas. Puis revient. Non, il ne la laissera pas toute seule.

« Je ne devais pas paniquer »

Les secondes semblent une éternité. Le temps comme suspendu, avant la panique générale. «Les gens fuyaient de tous les côtés». «Emma n’avait pas compris ce qui s’était passé. Elle me répétait en boucle “je m’appelle Emma Darwiche, j’habite au Gabon, j’étais avec ma grand-mère Jocelyne Caléo et avec ma soeur”. Elle me demandait toutes les deux minutes comment je m’appelais, et où était sa famille». Emma, le visage tuméfié, les membres brûlés, a, en plus, une commotion cérébrale. « Elle me disait “je ne vois plus rien”, et elle me touchait le visage », raconte encore Sébastien profondéme­nt ému. «Je ne devais pas paniquer, ni pleurer, elle aurait paniqué à son tour. Je la tenais éveillée car je la sentais partir de temps en temps ». Le Parisien se souvient aussi des pompiers qui passaient entre les corps. De cette détresse dans leurs yeux de ne pouvoir rien faire face à la mort. Il se souvient de tout. Les images sont imprimées à jamais. Comme autant de cicatrices invisibles qui font de lui, aussi, une victime du 14-Juillet. «Un secouriste est venu avec nous, il s’appelait Thibaut.» Emma a été installée sur une barrière de chantier, faute de brancard. « Ils l’ont emmenée au Palais de la Méditerran­ée». Sa petite main toujours accrochée à celle de Sébastien. « Elle ne connaissai­t pas l’adresse de sa grand-mère, elle me parlait du Negresco et d’une église derrière. Me répétait son nom en boucle. » Alors qu’Emma est en sécurité auprès des sauveteurs, Sébastien décide de partir à la recherche de la famille de l’adolescent­e. Il cherche partout derrière le Negresco, inspecte les interphone­s. En vain. « J’ai voulu ensuite revenir auprès d’Emma, mais ils ne m’ont plus laissé passer.» Sébastien craint que les proches d’Emma soient tous morts et qu’elle se retrouve toute seule.

En quête de la famille de l’adolescent­e

Le lendemain matin après une nuit sans sommeil auprès d’Elise sa compagne, il reprend sa quête. Entre-temps, Sonia et Dina apprennent la terrible nouvelle. Souad, retranchée à l’hôtel West End, réussit à prévenir son père, en empruntant un téléphone. Celui de sa mère était éteint. «Souad a été très courageuse, elle a rassuré des gens en panique dans l’hôtel», confie Sonia. « Lorsque j’ai appris la nouvelle j’étais persuadée qu’Emma était morte aussi. J’ai perdu ma famille ce soir-là, mais le bon dieu m’a laissé mes filles», glisse-t-elle, en contenant ses larmes. Dina et Sonia reviennent à Nice le lendemain soir. Entre temps une cousine a réussi à localiser Emma à l’hôpital. «Elle était vivante, c’était incroyable, j’ai même pu lui parler», s’exclame Sonia. De son côté Sébastien tente toujours de retrouver la famille d’Emma.

« Notre bonne étoile »

Il marche, furète derrière le Negresco, cherche une église, ses seuls indices. Et finit par tomber sur Saint-Pierre-d’Arène. Il fait toutes les entrées d’immeuble. «Et là je vois écrit Caléo-Darwiche. Je sonne, mais il n’y a personne.» Sébastien tombe sur le gardien qui n’a pas de nouvelles. Il lui laisse son numéro après avoir raconté leurhistoi­re. «En fait, on est resté chez ma cousine jusqu’au mardi d’après. Quand on est revenues chez ma mère, le gardien m’a parlé de Sébastien et je l’ai appelé tout de suite», souffle la mère de famille. « Pour moi, c’était merveilleu­x. J’avais en ligne celui qui avait aidé ma fille, qui lui avait sauvé la vie, tenu la main dans ce moment atroce. C’est grâce à lui que je tiens le coup. J’ai perdu ma famille, mais je me dis qu’Emma avait quelqu’un à ses côtés et qu’il a pris soin d’elle. C’est notre bonne étoile.» Bonne étoile ? Sébastien n’est pas d’accord. Enfin pas vraiment. Pour lui, c’est Emma la bonne étoile. « Ce soir-là j’ai vu l’horreur. Toutes ces images, je ne pourrais pas les supporter aujourd’hui s’il n’y avait pas eu Emma.» Sonia a mis plus d’une semaine à raconter à Emma ce qui s’était passé. « Elle ne se souvenait pas de tout. Elle avait juste des flashs. Puis je lui ai parlé de Sébastien. Elle a eu un grand sourire. Elle s’est mise à pleurer, elle ne s’arrêtait plus. Elle s’est souvenue de lui.» Et ce n’est que le 3 août que tout le monde s’est réuni. Un moment fort, hors du temps. Nécessaire pour continuer la « belle » histoire. Sébastien a dû voir des psychologu­es. Pour évoquer sa colère. «Contre ceux qui ont fui sans aider personne, ceux qui ont filmé, ceux qui ont pillé.» Il est plus apaisé aujourd’hui. Les psychologu­es lui ont expliqué que l’attitude normale était de s’enfuir. Que c’était lui qui avait eu un comporteme­nt «anormal, dans le sens extraordin­aire». Il n’en avait pas conscience. Il essaie aujourd’hui de l’intégrer. Aidé par Sonia qui ne cesse de le lui dire. Sonia, cette mère qui couve du regard celui qui a sauvé, réconforté, aidé, secouru son enfant. «Au moment où il est venu auprès de ma fille, le camion qui roulait encore, puis la fusillade, il aurait pu se mettre à l’abri. Mais il est resté avec elle. Il aurait pu prendre une balle perdue. Il n’a pas bougé.» Le destin de Sébastien est désormais lié à celui de cette famille meurtrie. Sébastien, un héros discret, qui en sauvant Emma s’est aussi sauvé lui-même. «Parfois les gens me disent tu as eu de la chance, tu es vivant. Mais non je n’ai pas eu de chance! C’est de la chance de passer une heure au milieu de 30 morts? C’est de la chance de voir tout ce que j’ai vu? Non. La seule chance que j’ai eue c’est de croiser le regard d’Emma.»

Il aurait pu prendre une balle perdue. Il n’a pas bougé ”

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(Photos DR) Sébastien et Emma se sont revus pour la première fois le  août. Un moment intense pour lui et cette famille.
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