Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Aurélie Filippetti: «Nous aurions besoin d’idéalisme»

Retirée de la politique, l’ancienne ministre de la Culture vient de publier plongée largement autobiogra­phique et désabusée dans les coulisses des deux derniers quinquenna­ts

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr 1. Editions Fayard, 442 pages, 21,50 euros.

AJe pense que la politique souffre aujourd’hui d’un excès de cynisme et de ce qu’on appelle, à tort, un excès de réalisme, alors que nous aurions au contraire besoin d’idéalisme pour faire changer les choses. Je crois que les gens ne veulent plus de ces femmes et ces hommes politiques qui se soumettent à une espèce

Vous estimez aussi que le pouvoir est devenu l’ennemi de la politique. Comment faire, alors ? Il faut résister, comme élu mais aussi comme citoyen, à l’ivresse du pouvoir. On l’a vu avec Nicolas Hulot, il y a des lobbies qui s’exercent, des forces de l’argent auxquelles il faut savoir s’opposer pour défendre ses conviction­s. On peut y arriver, mais il faut une volonté de fer pour y parvenir.

Macron, la jupitérisa­tion, c’est tout ce que vous abhorrez ? On souffre de cette forme de monarchisa­tion de la fonction présidenti­elle. Il y a trop de décorum, d’ors de la République. Cela contribue à faire perdre le sens des réalités aux hommes et femmes politiques. Un homme a rarement raison tout seul. Il faut davantage de partage du pouvoir, un pouvoir plus horizontal, plus d’autonomie aussi en faveur des collectivi­tés locales et même des citoyens.

Vous n’êtes pas tendre non plus avec François Hollande, qui était pourtant « normal »… Il avait dit qu’il voulait être un Président normal, mais il ne l’a pas été tant que ça. Il s’est coulé dans les habits de la Ve République et a exercé le pouvoir d’une manière extrêmemen­t solitaire, en écoutant très peu les parlementa­ires, les ministres, ce qui lui a valu un certain nombre de déboires. Lui aussi, malheureus­ement, a succombé à une forme d’ivresse du pouvoir.

Les frondeurs n’ont-ils pas leur part de responsabi­lité dans l’échec du quinquenna­t ? Vous saviez dès le départ que François Hollande était plutôt un social-démocrate… La responsabi­lité est bien sûr collective. Le programme de  n’était pas un programme d’extrême gauche, mais c’était un programme de gauche. Il fallait simplement essayer d’appliquer ce pourquoi nous avions été élus. L’échec de François Hollande comme celui de Nicolas Sarkozy ne s’expliquent pas que par leurs personnali­tés, mais par un désamour et une crise de confiance des Français vis-à-vis de la politique. En , les Français voulaient l’applicatio­n d’un vrai programme socialdémo­crate, ce n’est pas une insulte, sauf que ça n’a pas été fait, c’est bien le problème. Pour vous, la politique active, c’est définitive­ment terminé ? Oui. J’ai tourné la page pour redevenir enseignant­e et revenir à la littératur­e, ce que je faisais avant la politique. Ayant été plongée dans ce monde du pouvoir, j’ai estimé qu’il était important pour moi d’en faire un objet littéraire, de travailler sur cette matière pour mieux cerner ce qui s’était passé. Quel regard portez-vous sur l’action des ministres qui vous ont succédé à la Culture ? Je ne suis plus dans la politique active. Je ne vais donc pas juger mes successeur­s ni replonger dans la politique politicien­ne que j’ai quittée avec bonheur. Je viens toutefois de soutenir la tribune écrite par Françoise Nyssen pour protéger les droits d’auteurs par rapport aux Gafa, les grandes multinatio­nales américaine­s, qui sont en train de piller toute la création, aussi bien celle des artistes que des journalist­es. Il faut absolument être très vigilant sur ce sujet. C’est notre souveraine­té qui est aussi en jeu.

On a l’impression que votre parcours ne vous a ni changée ni endurcie : vous êtes restée la fille révoltée de mineur communiste… Ce qui m’a endurcie, c’est de voir ce qui est arrivé aux mineurs et aux ouvriers de la sidérurgie là où j’ai grandi, en Lorraine. Mon engagement politique vient de là. Mon père était mineur, il est mort des suites d’une maladie profession­nelle et j’ai vu beaucoup de gens mourir ou être malades des suites de leur travail dans ma région. Ça forge et ça m’a donné des garde-fous vis-àvis du pouvoir et de ses attraits.

Mais abandonner le combat politique, c’est capituler… A un moment, si on mesure qu’on ne pourra pas agir même un ministre ne peut pas choisir la ligne du gouverneme­nt il vaut peut-être mieux partir quand on se retrouve trop en contradict­ion ave ses idées. C’est ce que j’ai fait et qu’a fait Nicolas Hulot.

Membre des Verts de 1999 à 2006, puis du PS de 2006 à 2017.

Députée de la Moselle de 2007 à 2012, puis 2014 à 2017.

Ministre de la Culture de mai 2012 à août 2014.

Auteure de plusieurs livres dont le premier,

paru en 2003.

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(Photo PQR/L’Est républicai­n)
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