Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

“Le théâtre doit devancer le monde pour le faire avancer”

Metteur en scène originaire de la région parisienne, Paul Pascot présente ce soir son troisième spectacle au Forum. Il s’apprête à vous faire passer un bon moment de réflexion

- PROPOS RECUEILLIS PAR CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

JJe l’ai découvert à  ans, sur les bancs de l’école départemen­tale de théâtre d’Évry, avec un copain Youssouf Abi-Ayad, qui compte parmi les grands acteurs de notre génération. C’est avec ce texte que l’on s’entraînait pour passer les concours. Et si je le retrouve c’est parce que je trouve qu’il correspond à l’urgence dans laquelle nous nous trouvons dans ce monde. Puis il me permet de me questionne­r sur toutes ces choses qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui et de me demander : ai-je vraiment choisi ma vie ? Ai-je vraiment eu le choix ?

Jo et Babar, les personnage­sclés, vont donc revivre sur scène. Que vont-ils apporter au public ? C’est avant tout l’histoire d’une rencontre entre deux êtres, qui n’étaient sans doute pas faits pour se rencontrer. Et pourtant, leur aventure commence sur un salut et se termine dans un souffle de liberté, d’apprentiss­age et de compréhens­ion du monde. Jo et Babar font comprendre que trouver sa liberté, ce n’est pas forcément vivre seul. Que l’on peut vivre avec les autres, en étant bien avec soi, sans être tiraillé par tout ce que l’on nous impose. Au final, l’Amérique n’est peut-être pas une destinatio­n. Elle peut aussi bien être intrinsèqu­e, et c’est à chacun de nous de la trouver…

En tant que metteur en scène, comment parvenez-vous à retranscri­re ces émotions ? Toute psychologi­e a été bannie de la pièce. Nous avons travaillé sur nos sensations, et pas sur l’intellectu­alisation. J’ai utilisé tous les outils du théâtre pour les retraduire sur scène : le son, la lumière et, par-dessus tout, la scénograph­ie. L’idée était de rendre universell­e la traduction de nos sensations afin de pouvoir la partager avec le public.

Cette pièce est-elle porteuse d’un message ? Elle soulève de vraies questions autour de ce monde qui change. Car, oui : le monde change, on ne s’en est jamais autant rendu compte, mais on ne fait pas grand chose. Nous avons du mal à rassembler nos forces communes dans ce système que l’on nous impose, pour pouvoir avancer vers un futur qui ne soit pas un mur.

Avant chaque représenta­tion, vous tenez à intervenir dans les établissem­ents scolaires… Pourquoi ? Il y a encore des personnes, et pas uniquement dans le monde artistique, qui ressentent cette nécessité d’être et de faire. Quand je demande aux jeunes ce qu’ils veulent faire quand ils seront plus grands, je trouve qu’ils ne répondent plus vraiment. On leur demande très tôt de faire des choix alors qu’ils n’ont encore goûté à rien. On les aiguille en fonction de leurs résultats et des débouchés. Du coup, ils se perdent à l’intérieur de ce système et désacralis­ent complèteme­nt leurs rêves. Je trouve ça regrettabl­e. Y a-t-il une actualité particuliè­re qui vous fait réagir et pourrait être source d’inspiratio­n pour votre prochaine création ? Beaucoup de faits retiennent mon attention : un ministre de l’Écologie qui démissionn­e, le dernier rapport du Groupement d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat qui donne deux ans pour réagir face à l’urgence, ou encore le mouvement des gilets jaunes, snobé par une grande partie de la classe intellectu­elle, alors qu’il y a là une réelle possibilit­é de faire changer les choses. Il y a vraiment matière à inventer un spectacle… Mais il y a une problémati­que à résoudre : le théâtre d’aujourd’hui a tendance à suivre les modes. Or nous n’avons plus le temps pour ça. Avant d’être metteur en scène, je suis un acteur. Et je veux être acteur de ce monde-là. Le théâtre me donne un haut-parleur. Est-il assez fort et puissant pour faire bouger les choses ? Je me le demande... Dans tous les cas, pour faire avancer le monde, le théâtre doit le devancer. Et ne jamais perdre ce qui fait son essence, en étant trop anthropoce­ntré et en s’appuyant sur ce qui est déjà passé.

 ??  ??
 ?? (Photo Philippe Arnassan) ??
(Photo Philippe Arnassan)

Newspapers in French

Newspapers from France