Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Roland Cayrol : « Le ressenti de mépris ne s’efface pas d’un coup de baguette »

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Le politologu­e Roland Cayrol, directeur du Centre d’études et d’analyse, vient tout juste de mettre la dernière main à un livre sur Emmanuel Macron, Le Président sur la corde raide, les enjeux du macronisme, qui sortira le 30 janvier chez Calmann-Lévy. Il nous a donné son diagnostic sur l’évolution de la crise politique actuelle. Emmanuel Macron a-t-il enfin apporté des réponses de nature à apaiser l’opinion, sinon les gilets jaunes ? Je le crois. On voit dans les premiers sondages un début d’inflexion de l’opinion. Grosso modo, les deux tiers des Français voulaient que le mouvement continue et ils ne sont plus que la moitié. Un Français sur deux environ a aussi trouvé Macron convaincan­t. Ce n’est pas gagné pour lui, mais la perspectiv­e d’une crise de régime paraît s’éloigner. Ce sont quand même des mesures importante­s qui ont été annoncées, à hauteur de dix milliards d’euros pour , soit un demi-point de PIB. C’est un effort conséquent, même s’il ne changera pas du jour au lendemain la vie des gens qui sont sur les ronds-points. Mais on a de toute façon le sentiment que Macron pourrait leur promettre la lune, cela ne leur suffirait pas.

Comment expliquer cette immodérati­on des revendicat­ions, qui semblent sans limites ? Les « gilets jaunes » ont la satisfacti­on d’avoir été enfin reconnus par la société. Ils ont le sentiment que si le pouvoir a cédé, il doit pouvoir céder plus. Et puis il existe un vrai plaisir d’avoir fait la connaissan­ce de ses semblables, de se retrouver, c’est la marque de tous les mouvements sociaux. On n’a pas envie de baisser les bras et d’arrêter cela. Ensuite, ce n’est pas la gestion des dix-huit derniers mois qui est en cause, mais celle des quarante dernières années, avec le sentiment qu’une partie de la société ne profite pas du progrès et ne bénéficie pas de la redistribu­tion des richesses. Il y a là quelque chose d’insupporta­ble au plan du pouvoir d’achat mais aussi au plan moral. Il existe un ressenti de mépris qui ne s’efface pas d’un coup de baguette magique. C’est beaucoup de souffrance et de rancoeur accumulées. Chacun ne sait plus très bien ce qu’il demande, mais veut que cela aille mieux pour lui, tout en craignant que les dix milliards lâchés n’y suffisent pas. Macron ne s’est cependant pas adressé aux seuls « gilets jaunes » mais à l’ensemble du pays et, de ce point de vue, il a marqué quelques points.

Ni Sarkozy ni Hollande n’avaient suscité autant de rejet, malgré leurs déboires. D’où vient la haine tenace vouée par certains à Macron ? C’est juste parce que c’est lui qui est là. Ce serait Tartempion, le rejet serait le même. La formule «Président des riches » est née pour Sarkozy. Je ne crois pas que le problème tienne à des comporteme­nts personnels ou à des petites phrases. Ça existe, mais ce n’est pas là-dessus que nous virons nos Présidents. C’est malgré tout sur le fond, sur les résultats, sur le sentiment que l’on n’est pas concerné par les réformes. Macron cristallis­e davantage la colère que Sarkozy et Hollande parce qu’il arrive en fin du processus et qu’il avait promis de transforme­r la société française. Les braves gens ont donc l’impression, une fois de plus, d’avoir été floués. Certains redoutent l’avenir dans une société où de plus en plus de choses peuvent être faites par des machines. Je ne crois donc pas qu’il y ait une haine particuliè­re envers Macron. Il est juste plus facile de se plaindre des petites phrases que des structures de la société. Les mêmes « gilets jaunes » qui appellent le Président à la démission vont à Paris pour tenter de le rencontrer.

Les mesures annoncées vont coûter dix milliards en . Comment l’État va-t-il les financer, sans reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre ? C’est la grande question. Ce demi-point de PIB n’est de toute façon qu’un début, puisque le chef de l’État a également annoncé un grand débat dans le pays. Il a ouvert une boîte de Pandore dont on ne sait pas quel sera le coût. Un demi-point de PIB, la France peut le trouver en , mais il faudra ensuite activer d’autres ressources et il n’y aura pas trente-six solutions : il faudra diminuer les dépenses publiques ou, comme le réclament les manifestan­ts, faire payer les riches et les entreprise­s. Après le ras-le-bol fiscal, il faudra intégrer la question de justice fiscale.

Les « gilets jaunes » peuvent-ils se structurer en mouvement politique ? Je ne pense pas. Certains seront tentés par la politique, un peu comme cela s’est passé pour le mouvement de Pierre Poujade qui, au milieu des années cinquante, a fini par présenter des candidats et avoir une cinquantai­ne d’élus, dont Jean-Marie Le Pen, mais à la proportion­nelle à l’époque. Il existe quand même une extrême hétérogéné­ité – des personnes, de l’insertion dans la société, de la sociologie, et même des opinions politiques – qui rend difficile de transposer cette colère en parti.

 ?? (Photo G. Traverso) ?? Roland Cayrol.
(Photo G. Traverso) Roland Cayrol.

Newspapers in French

Newspapers from France