Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Entre politique et Gilets jaunes, le cours Lafayette fait grise mine à Toulon
« Personne ne parle de
Noël ici… » Grise mine ce mardi matin sur le cours Lafayette, à Toulon. Il n’y a pas grand monde entre les étals. Les paniers, eux, n’excèdent pas le kilo sur les balances. Et, entre oignons et pommes de terre, l’allocution d’Emmanuel Macron ne passe pas. Un coup de pouce de 100 euros pour le Smic ? « J’ai peur de passer imposable », relève Hélène, derrière un cabas au motif écossais. Une suppression de la hausse de la CSG pour les pensions de retraites de moins de 2000 euros ? « Et un mois en Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, Ndlr), ça coûte combien ? », vocifère Lucien sous son béret.
« Il n’y a plus personne sur le marché » D’autres ont des solutions plus radicales. Émile, lui, veut «guillotiner le roi Macron, comme du temps de la
Révolution ! » Rien que ça. Sous sa casquette Jo, le fleuriste, tremble. La retraite, c’est pour bientôt. « En janvier normalement (il aura 67 ans, Ndlr), souffle-t-il. Mais je vais continuer à bosser, je n’ai pas les moyens
de m’arrêter. » Sa concubine touche 800 euros de pension depuis 2008. « Et ça n’a jamais été revalorisé », se lamente-t-il. Depuis le début des manifestations des Gilets jaunes, il y a trois semaines, Jo a constaté une perte de « plus de 50 % de son chiffre d’affaires », à une période où il travaille traditionnellement
très bien. « Je compense en limitant les pertes, explique-til. Il n’y a plus personne sur le marché en ce moment, il faut bien qu’on s’adapte. Moi, j’achète moitié moins. D’ailleurs, je n’ai pas encore installé mes compositions florales de Noël. » « Redistribuer quoi, au juste ? » À l’arrivée, le salaire de Jo est famélique (à peine 900 euros), en regard du nombre d’heures passées sur le macadam. « Avant, j’étais agriculteur, mais j’ai arrêté: on ne gagne plus, on n’investit plus», regrette ce fan du RCT élevé à La Crau. « À la campagne, on est moins que rien. » Levé à 4 h 30, son voisin, John le maraîcher, n’a aucun jour de repos. Et entre deux palettes, il trouve le temps de manifester au péage de
Bandol. « Certains veulent arrêter le mouvement, mais la majorité est toujours remontée (contre Emmanuel Macron, Ndlr), reprend ce père de famille de 34 ans. Ces annonces, ça ne suffira pas. Il a mis de l’eau dans son vin, mais ce n’est pas ce que le
peuple attend. » Pendant ce temps, les petites mains du marché mangent de plus en plus tard. Aujourd’hui, c’est à 14 heures. Demain ? Et ce weekend ? Henri hausse les épaules.
« Un jour, c’est des opérations escargot, le lendemain c’est les barrages… Un jour les Gilets, le lendemain les jeunes. Résultat: on râle, mais on ne sait même plus pourquoi. » Ce qui semble être un mauvais signe pour le commerce. Et le sexagénaire de poursuivre, goguenard: «On lui demande de redistribuer, mais redistribuer quoi au juste? Il n’y a plus d’écart entre les minima sociaux et les salaires. » John a « peur
de l’avenir » et ne se fait aucune illusion. À l’arrivée, c’est lui qui paiera les pots cassés. Autant remettre le gilet. Et prier que les autres
suivent. « On n’en est plus à 100 euros aujourd’hui. On veut du (revenu) net (non
imposable, Ndlr). Vivre seul, c’est très dur aujourd’hui. Mon ex-femme touche 980 euros par mois : notre fille mange avec ma pension de 200 euros.