Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

«Un drame était à prévoir»

Un jeune Gilet jaune a été renversé par une camionnett­e à Avignon. La veille, un chauffeur azuréen avait été pris à partie sur le même rond-point. Son patron a tiré la sonnette d’alarme

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Il s’appelait Denis David, avait 23 ans, habitait Le Pontet (Vaucluse) et venait d’avoir un enfant. Dans la nuit de mercredi à jeudi, ce Gilet jaune a trouvé la mort à Avignon, lors des actions de filtrage au rond-point de Bonpas. Fauché par une camionnett­e. Son conducteur polonais aurait paniqué en voyant des piétons. Il s’agit du sixième décès depuis le début du mouvement. « Je craignais qu’un drame se produise. Je ne pensais pas anticiper à si brève échéance… » À 250 kilomètres de là, Georges Reynaud est dépité. Il est le gérant de la Stem, société de transport basée à Colomars, le long du boulevard du Mercantour, près du pont de la Manda. Quelques heures avant l’accident mortel, Georges a signalé ce rondpoint de Bonpas. Et pour cause : l’un de ses chauffeurs y a été violemment pris à partie. La scène se joue dans la nuit de mardi à mercredi, vers 1 h 30. José, Niçois de 34 ans, six ans de trajets longue distance au compteur, se présente avec son semi-remorque au fameux rond-point occupé par les hommes en jaune. Une habitude, désormais. « En général, ils me disent “Bonsoir”, m’offrent le café, disent qu’il y en a pour un quart d’heure ou une demi-heure », raconte-t-il par téléphone, hier, durant sa pause.

« Ma famille s’inquiète »

Cette fois-ci, l’affaire s’engage mal. «J’arrive normalemen­t. Je m’arrête derrière les voitures. Un homme vient me voir, sans gilet jaune. Je baisse ma fenêtre et dis bonsoir, mais il crie “Fais marche arrière !” » Manoeuvre impossible : l’ensemble routier est déjà engagé sur le rond-point. José aurait tenté de l’expliquer, de suggérer une alternativ­e, craignant de rester bloqué jusqu’à l’aube. En vain. « Il crie fort. Il dit dans son talkiewalk­ie : “Il ne veut pas faire marche arrière, j’ai besoin de renfort.” Quatre types arrivent en courant, témoigne José. Je prends mon téléphone, je leur dis : je vais trouver une solution et j’appelle le 17. Là, ils commencent à taper sur le camion avec des bâtons. Ils ont cassé le rétro côté chauffeur, la calandre. Ils ont tapé la vitre de mon côté ; heureuseme­nt, c’était solide. J’ai eu de la chance quand même… » Le déchaîneme­nt de violences n’en serait pas resté là. Les piétons auraient tenté de forcer les portes arrières, cadenassée­s. José a alors redémarré, aussi prudemment que possible. « Ils me jetaient des cailloux. J’ai eu peur. Ce n’était pas pacifique ! » Difficile de soupçonner José d’hostilité contre les Gilets jaunes . Lui-même a fréquenté le rond-point de Saint-Isidore, aux

débuts de la fronde. « À titre personnel, en tant que citoyen. Mais là, ça commence à déborder et prendre un mauvais chemin. Je crains que ça empire. On n’atteint pas les buts recherchés avec la violence. On est en train de perdre raison ! »

Bien sûr, José juge « désolant » le drame d’Avignon. Mais il peut « comprendre la panique du chauffeur. » Lui est soulagé d’avoir su garder son sang-froid : «S’ils étaient arrivés à ouvrir les portes, c’était peutêtre moi, la victime. Et là, c’est ta vie qui est en jeu ! Désormais, ma famille est inquiète de me voir partir… »

Appel à la prudence

Inquiet, Georges Reynaud l’est tout autant. Pour ses propres troupes comme pour les manifestan­ts. Voilà pourquoi, avant-hier, ila «tiré la sonnette d’alarme»,

dans un courrier adressé à la TLF et la FNTR, deux organisati­ons représenta­tives du transport routier. Une phrase y résonne de manière tristement prophétiqu­e : «Un drame est à prévoir et ce, dans peu de temps, les conducteur­s étant maintenant à bout. » Là encore, ce n’est pas la légitimité des Gilets jaunes qui est en cause. Mais bien la tentation de mépriser le danger, face à des chauffeurs éprouvés au volant de mastodonte­s. « Mes gars sont à cran. Ils circulent déjà plus de quarante heures par semaine et perdent énormément de temps sur la route à cause des ralentisse­ments et des blocages. Avec des gens fatigués, s’il y a des émeutiers, vous ne savez pas comment ils vont réagir… » Les dégâts ? « C’est de la bricole, même s’il y en a pour 1 000 ou 2 000 euros », relativise Georges Reynaud. Loin de sa perte d’exploitati­on, estimée pour novembre « au bas mot à 20 000 euros ». Mais l’urgence n’est plus là. Car la vie humaine, elle, n’a pas de prix. Freins de parc des semi-remorques actionnés de manière intempesti­ve, béquilles baissées… Georges Reynaud observe une évolution des comporteme­nts sur les ronds-points, et se dit effaré par les risques qu’encourent certains. « De tels accidents étaient malheureus­ement prévisible­s. Je craignais qu’un de mes chauffeurs en écrase un. » Alors, Georges Reynaud en appelle au respect des transporte­urs. Dans l’intérêt de chacun : « Est-ce que vous vous mettez devant un rhinocéros ? Non. Pourtant, un rhinocéros, c’est une tonne. Un camion, lui, en fait quarante ! »

 ?? (Photo Éric Ottino) ?? Georges Reynaud, gérant de la Stem à Colomars. C’est un semi-remorque similaire qui avait été attaqué au rond-point de Bonpas, vingt-quatre heures avant le drame.
(Photo Éric Ottino) Georges Reynaud, gérant de la Stem à Colomars. C’est un semi-remorque similaire qui avait été attaqué au rond-point de Bonpas, vingt-quatre heures avant le drame.

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