Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

La démocratie au défi

- De

Avatar français de la vague populiste qui balaie le monde occidental, héritage d’une longue tradition nationale de jacqueries contre l’impôt qui se muèrent en révoltes des « gueux » contre le « Château » : la crise des « gilets jaunes » est un peu tout cela. Mais aussi un mouvement inédit qui met au défi les formes classiques de la démocratie dans une société dominée par l’Internet, l’hypermédia­tisation et l’empire des sondages.

Le phénomène est né sous les radars du système médiatique : sur les réseaux sociaux. Il ne pouvait naître ailleurs – au coeur du système politico-médiatique –, car il touche un public qui justement ne « croit » plus les politiques, ni les journalist­es. Il a explosé en quelques semaines grâce à Facebook et YouTube. Internet n’a pas seulement servi d’amplificat­eur : véritable agora numérique, c’est-à-dire lieu de parole et d’échanges, mais aussi incubateur de rumeurs, c’est l’écosystème où se déploie en marge des circuits officiels une nouvelle forme de socialité politique, portée à la défiance et à la radicalité (car les algorithme­s y survaloris­ent les positions extrêmes), et qui emprunte à la technologi­e sa vitesse d’expansion.

Sous la loupe des télés en continu, qui ont mis la crise en scène à coups d’éditions spéciales et de directs anxiogènes, le mouvement a été aussitôt surmédiati­sé, monopolisa­nt l’attention et éclipsant toute autre actualité jusqu’à la tuerie de Strasbourg. Ingratitud­e des militants qui s’en prennent à BFM & Cie : dans la société du spectacle, l’impact d’une mobilisati­on est fonction du nombre de manifestan­ts multiplié par le coefficien­t d’exposition médiatique. En ce sens, la violence n’a pas pénalisé les « gilets jaunes » : elle les a servis. Des manif’ pacifiques et disséminée­s sur le territoire n’auraient jamais fait reculer le pouvoir sans le traumatism­e créé dans la société et au plus au niveau de l’Etat par le spectacle de chaos des er et  décembre.

Un Français sur cinq s’est dit « gilet jaune » comme jadis « Je suis Charlie ». Mais la grande majorité ont affiché leur « soutien » ou leur « sympathie » pour la cause des «gilets jaunes». Il faudrait faire la part de ce qui relève surtout du ras-le-bol fiscal et de l’impopulari­té de Macron. Le fait est que cette approbatio­n de l’opinion a eu un fort effet d’intimidati­on sur tous les acteurs et commentate­urs. Si les télés ont donné au mouvement sa visibilité, ce sont les sondages qui lui ont donné sa légitimité et ouvert grandes les portes des studios télé à des porte-parole autoprocla­més dont la représenta­tivité fut peu questionné­e – sinon par les « gilets jaunes » eux-mêmes… Pas plus que ne fut sérieuseme­nt contestée leur prétention à incarner « le peuple », face à des élus qui semblaient parfois s’excuser d’être là. Hyper-démocratis­me ou déni de démocratie ? Chacun jugera.

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