Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Climat : « L’action des Gilets jaunes n’empêche pas d’agir »
Joël Guiot fait partie du Groupe régional d’experts sur le climat en région Sud, qui abordera d’autres solutions que la hausse des taxes sur les carburants, lors d’un colloque à Marseille demain
L’action des Gilets jaunes n’empêche pas d’agir. Il y a encore matière pour ralentir les effets du changement climatique. Les solutions existent. Mais la volonté politique existe-t-elle? Il faut qu’on arrive à convaincre qu’on ne peut plus reporter les décisions. C’est maintenant qu’il faut les prendre. Il aurait mieux valu accompagner la hausse des taxes sur les carburants de mesures de justice sociale. Le gouvernement a attelé la charrue avant les boeufs : il a mis la taxe avant les aides. Il faut une planification au niveau de l’État plus forte qu’actuellement.
Que faut-il faire en priorité ? Intensifier les transports en commun, surtout qu’il faut plusieurs années pour mettre en place des systèmes qui fonctionnent. Mais il faut aussi penser à des mobilités collectives de petites dimensions, notamment dans les régions isolées, et inciter au covoiturage. Je pense qu’il faut aussi favoriser des moyens doux de transports comme le vélo. Aujourd’hui, les gens ont peur, car on manque de pistes cyclables.
Les voitures électriques ne sont pas la panacée alors ? Les voitures électriques ont des avantages, mais ce n’est pas la solution universelle. Il n’est pas évident qu’elles émettent moins de gaz à effet de serre. Si on prend tout le cycle de ces voitures, y compris leur démantèlement, il y a des émissions. Et puis, imaginons un parc automobile uniquement électrique, il faudrait produire beaucoup plus d’énergie, et on n’est pas forcément prêt à le faire. Si elles fonctionnent avec une électricité essentiellement nucléaire, elles émettent moins de carbone mais pas si c’est une électricité qui vient du pétrole ou du charbon, comme en Allemagne.
Alors, la voiture qui fonctionne au carburant n’est pas à jeter ? En tout cas, il faut s’orienter vers des voitures plus petites, éviter les x et autres grosses voitures qui consomment beaucoup, quand on n’en a pas besoin.
Quel est le risque le plus immédiat sur le Var et les Alpes-Maritimes ? Le premier changement important, c’est la montée du niveau des mers. Les plages se réduisent déjà. De plus en plus de gens sont vulnérables. Si on arrive à contenir le changement climatique à degrés, cela fait une augmentation de à centimètres d’ici la fin du siècle. Si on ne fait rien, le niveau montera plus vite.
ou cm, cela paraît dérisoire. Pourquoi ça ne l’est pas en réalité ? En Méditerranée, on n’a pas de marées mais on a des tempêtes, qui font monter le niveau de la mer de plusieurs mètres. Il augmente dans ces moments-là, plus que cette moyenne. La mer peut envahir le littoral et provoquer des inondations. L’eau salée envahit aussi les nappes d’eau phréatiques et les terres agricoles. Cela peut poser des problèmes de ressources en eau et de production agricole.
Peut-on protéger le littoral avec des digues ? Cela a été fait aux Saintes-Mariesde-la-Mer, dans les Bouches-duRhône. Mais si la digue n’est pas construite tout le long du littoral, de part et d’autre, l’eau passe quand même, par les deux extrémités. Cela entraîne d’autres problèmes. Construire une digue fait partie des efforts qui ne peuvent être menés par les collectivités, indépendamment les unes des autres. Il faut un programme collectif d’adaptation du littoral à la hausse du niveau de la mer.
Est-ce vraiment possible ? Il faut aussi étudier la possibilité de vivre avec ce risque, donc de ne plus construire le long du littoral. En Hollande, personne ne peut construire à moins de deux kilomètres de la mer. Des dunes naturelles font une protection. La décision a été prise après un razde-marée de plusieurs mètres, qui a fait près de morts en .
Vous dites que l’État a mis les taxes avant les aides. À quoi ces aides devraient-elles servir ? Les villes seront très vulnérables au changement climatique. En même temps, elles sont responsables des plus fortes émissions de gaz à effet de serre, à cause des transports, mais aussi du chauffage. La première chose à faire, avant d’augmenter le prix du gaz ou du fuel, c’est d’aider les gens à mieux isoler leur logement. Y compris contre la chaleur car la hausse des températures est déjà là et il faut s’adapter, sans multiplier les climatiseurs, qui consomment énormément d’énergie. Pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, créés par le béton qui restitue la chaleur, il faut remettre de la végétation en ville, créer des parcs, des pièces d’eau. Ce sont des climatiseurs naturels.
Comment convaincre décideurs et population ? Aujourd’hui, on voit bien qu’il fait déjà plus chaud mais les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), sontpourdansouans.De même les efforts pour atténuer le changement climatique ne se verront pas immédiatement. Il faut expliquer qu’il y a des bénéfices immédiats dans la lutte contre le changement climatique. Par exemple, si on supprime les énergies fossiles, les centresvilles seront moins pollués, et on aura moins de problèmes de santé. Avec des pratiques plus douces en agriculture, on aura une alimentation plus saine. Si on met des espaces verts et des pièces d’eau dans les villes, la vie sera plus agréables, et les maladies cardio-vasculaires, lors de canicules, diminueront. Utiliser les circuits courts, c’est faire revenir l’emploi sur place, au lieu d’aller produire des objets ailleurs et de fermer des usines ici. Consommer local aura des effets contre le chômage.
Mais comment favoriser les circuits courts à grande échelle ? En matière d’alimentation, aujourd’hui, on pousse à consommer bio, mais certains fruits et légumes bio font des milliers de kilomètres pour arriver chez nous. Il faut inciter à consommer les aliments près de chez soi. Au niveau des biens de consommation, presque tout est produit dans des pays lointains, avec un transport par bateau, qui n’est pas ou très peu taxé. Or, il émet des gaz à effet de serre en quantité. Mettre une taxe sur le transport maritime et aérien est d’ailleurs une revendication des Gilets jaunes. Une fiscalité verte plus équitable que les taxes sur les carburants du quotidien, favoriserait les circuits courts.