Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Donel Jack’sman: «Restons optimistes et soudés»

Traité de « sale Noir » en plein spectacle, fin décembre à Nice, l’humoriste revient le 27 janvier au Théâtre de la Cité. Il reversera le bénéfice à une associatio­n locale de lutte contre le racisme

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La vidéo s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. On y voit Donel Jack’sman interrompu dans son one-man-show, On ne se connaît pas, on ne se juge pas, par un spectateur qui, à trois reprises, le traite de « sale Noir ». Dans les rangs : 150 personnes. D’abord quelques rires. Puis un blanc. L’humoriste, lui, voit rouge. Mais, très vite, se reprend. Sidération dans la salle, puis tollé dans la France entière; une France qui ne veut pas croire qu’au tournant de 2019, ce racisme soit présent. De Christian Estrosi à Emmanuel Macron, le pays réagit. Donel, pour panser sa blessure et pour laver Nice de l’affront qu’un inconnu lui a fait, revient le dimanche 27 janvier. Juste avant une date supplément­aire à La Cigale ,à Paris, dont le bénéfice ira également à la lutte contre les discrimina­tions.

Votre état d’esprit avant ce retour?

Je suis très content de revenir. Étant le premier à déplorer que l’on stigmatise les minorités, il est important pour moi de dire ceci aux Niçois: ne vous en faites pas, moi, je ne vous stigmatise pas. Le soir de l’incident, j’ai appelé ma production, ma famille, ma copine. On était tous énervés et, dans le même temps, assez défaitiste­s. Très vite sont arrivés les préjugés que l’on peut avoir sur le sud. Et ça, ce n’était pas possible. Je ne suis pas naïf, je sais que le racisme existe. La boîte de nuit où tu n’entres pas, le vigile qui te suit dans un magasin, l’appartemen­t qui n’est plus disponible. Ou l’employeur qui te reçoit en sachant déjà qu’il ne te prendra pas… Ce racisme insidieux, je l’ai connu: c’était mon lot de banlieusar­d. Mais là, les choses ont été exprimées de façon si frontale! Cet individu m’a balancé de la haine. Avec le soutien de tous, on a transformé ça en amour. C’est le signe que je veux renvoyer. Le  janvier, on va s’amuser comme on aurait dû le faire l’autre jour, sans lui.

S’il venait, que lui diriez-vous?

Ce serait marrant qu’il vienne et participe ainsi au financemen­t d’une associatio­n contre le racisme. Mais je n’y crois pas. Cet individu n’a pas saisi les trois chances que je lui ai données de désamorcer le malaise. Surtout, à la fin du spectacle, il aurait pu venir me dire qu’il avait simplement voulu déconner. Ou me contacter plus tard sur les réseaux sociaux. Mais non, rien. Ce qui me laisse penser que, malheureus­ement, ce n’était pas juste une vanne pourrie par un mec bourré ou qui cherchait la provoc’. Au début, tout le monde a même cru que ça faisait partie du spectacle. C’était tellement gros! J’ai du mal à imaginer que je puisse susciter tant de haine. J’ai reçu, depuis, des messages terribles. Être autant contre le vivre ensemble, c’est incroyable.

Vous aviez déjà vécu cela…

Oui, il y a dix ans, lors d’une convention. Lorsque Cyril Hanouna était monté sur scène pour présenter le show, des mecs avaient crié : «À poil!» Et quand mon tour était arrivé: «Sale Noir!» Deux fois en dix ans, ce n’est pas beaucoup. Mais que cela puisse se produire aujourd’hui, c’est violent. En plus, dans un théâtre où ce type, qui doit être daltonien, a payé pour me voir! Bon, il y a eu entre-temps deux vieilles dames, en Savoie, qui m’ont demandé une photo à la fin du spectacle. L’une disant à sa copine, après m’avoir touché la joue : «Eh bien, tu vois! Sa peau, elle est douce…» C’était très gênant. Mais surtout, cela sousentend­ait qu’avant de venir, elles avaient eu ce débat.

Il ne vous échappe pas que, sur les réseaux sociaux, certains vous soupçonnen­t d’un coup de com’…

J’y suis présent, mais je ne lis pas les commentair­es car mon tempéramen­t me pousse à réagir. Ce qu’il ne faut surtout pas faire: c’est ce que la personne attend. Si tu réponds, elle a gagné. Les gens peuvent donc t’insulter tranquille­ment depuis leur salon, en plus ils te taguent. Autrefois, ils devaient écrire à la maison de production ou carrément se déplacer. Au moins, c’était méritoire [rires]. Si j’avais monté cette opération, je serais un génie de la communicat­ion et il faudrait que je change de métier. Un buzz comme celui-là, on ne peut pas l’imaginer. Si je refais l’historique, l’incident survient un dimanche et le lundi, on me tague sur Instagram avec quelques secondes du spectacle. Je m’énerve un peu, ayant demandé que l’on ne filme pas, mais la personne me dit l’avoir fait pour son frère qui ne pouvait pas être là. J’explique que c’est irrespectu­eux et lui demande de m’envoyer l’extrait. Trois minutes en tout, où je découvre cette séquence que je poste sur Facebook et Instagram. Il ne se passe rien le lundi. Ni le mardi. Le mercredi, je me rends compte que la vidéo a été reprise sur Twitter où elle totalise déjà  vues. Je la retweete, on arrive à  million en  heures. Tous ceux qui me connaissen­t et suivent mon travail savent que je n’utiliserai­s jamais un truc aussi nauséabond pour faire parler de moi. Sans compter que j’arrêtais: il me restait un soir à La Cigale et trois ou quatre dates en tournée. Mon nouveau spectacle étant prévu en octobre.

Avez-vous reçu le soutien de nombreux humoristes?

Pour dire la vérité, moins que je ne le pensais. Kevin Razy, Waly Dia, Michaël Gregorio. Par ailleurs Michèle Bernier, Marion Cotillard ou Claire Keim. Du côté des politiques,

M. Estrosi m’a téléphoné pour me dire qu’il viendrait, ne voulant rater ça pour rien au monde. J’ai eu le soutien d’Anne Hidalgo, Benoît Hamon, Christophe Castaner. Et j’ai échangé des SMS avec le Président.

Vous avez le  de Macron!?

Oui, mais il doit avoir   téléphones qu’il range sûrement de «Relou n° » à «Relou n° ». Je dois être le e ?

Un SMS de JuL ou Maître Gims?

J’ai reçu un message de JuL, mais je n’ai pas pu le lire. Trop de fautes d’orthograph­e. Quant à Maître Gims, il en fera une chanson?

Comment garder le sourire?

C’est vrai qu’une parole se libère, décomplexé­e. Regardez ce député noir de

‘‘Des SMS avec le président ”

‘‘ Non, le racisme n’est pas une opinion”

la région parisienne qui reçoit une lettre ignoble ou ces cris de singe en Italie contre le footballeu­r Koulibaly. Certains commencent à se dire qu’ils ont le droit. Que c’est une opinion. Non ! C’est un délit. Maintenant, il ne faut pas entrer dans ce jeu qui consiste à dire que la France est un pays raciste. Cette phrase-là, je ne peux pas l’entendre. Bien sûr que des gens n’acceptent pas la mixité, vivant mal un changement qui leur paraît trop rapide. Je ne leur en veux pas. Mais il se crée une telle fracture sociale que sur les réseaux sociaux, à propos de ce qu’il vient de m’arriver, soit on dénonce un Blanc raciste, soit on répond sur le racisme antiBlancs. Moi, je parle juste d’un Français qui a été insulté. Restons optimistes et soudés.

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(Photo Woojung Park)

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