Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

MUTILÉ À L’OEIL : SON AVOCAT PREND LA PAROLE

Interview L’avocat qui représente Ninef Radjah s’exprime pour la première fois et livre « la réalité de la journée » de ce Seynois grièvement blessé, lors d’une manif Gilets jaunes à Toulon

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Trois semaines après la blessure qui lui a coûté un oeil au cours d’une manif de Gilets jaunes à Toulon, la victime dénonce, par la voix de son avocat, un tir de lanceur de balle de défense.

I« l veut qu’on rétablisse la réalité de sa journée », retrace son avocat. Et veut dire dans quelles conditions il s’est retrouvé dans la manifestat­ion des Gilets jaunes de Toulon, le 12 janvier. Lorsqu’il a été blessé, mutilé. Là où sa vie a définitive­ment basculé, près du stade Mayol et du port de Toulon.

Ninef Radjah aura 36 ans à la fin du mois de février, il est père de deux petites filles et habite à La Seyne. Vers 18 h, alors que les forces de l’ordre ont commencé à charger, il a été grièvement touché à l’oeil gauche. C’était un tir de lanceur de balles de défense (LBD), assure son avocat, qui a déposé plainte auprès du procureur de Toulon, le 25 janvier dernier. L’enquête préliminai­re est confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Trois semaines après les faits, l’origine du tir n’a toujours pas été déterminée. Me Didier Caporossi, défenseur de Ninef Radjah, s’exprime pour la première fois sur le dossier.

Cela fait trois semaines qu’il a été blessé. Comment va Ninef Radjah, physiqueme­nt et moralement ?

Au début, je crois qu’il n’a pas réalisé l’importance et la gravité de ce qui lui est arrivé. À présent, il entre dans la phase de choc post-traumatiqu­e, il prend conscience qu’il a perdu un oeil. Qu’il ne verra jamais plus de cet oeil. Sur le plan médical, il a subi une perte de substance de l’oeil gauche à hauteur de  %.

Il souffre d’une rupture traumatiqu­e du globe oculaire avec une fracture du plancher orbitaire. Cette fracture permet de faire le lien avec un tir.

Les séquelles seront donc très importante­s. Invalidant­es.

Les séquelles sont de plusieurs ordres, physiques et psychologi­ques. Il me dit : « Quand je prends mes filles, chacune par une main… Celle qui est sur ma gauche, je ne la vois pas. » Ninef Radjah est… était conducteur d’engins sur des chantiers, en intérim. Il devra être opéré, en vue d’une prothèse oculaire. Plus tard, il faudra évaluer son préjudice.

Est-ce que Ninef Radjah a été entendu par les enquêteurs – ce qui n’avait pas été encore fait ?

D’abord, Ninef Radjah n’a pas refusé de répondre aux enquêteurs. Il n’était pas en état de le faire. Il était, et est toujours, sous morphine. Il était hors de question de répondre à quoi que ce soit. Pour l’instant, je peux dire que le procureur et l’IGPN font bien leur travail. Dans les auditions, ils cherchent vraiment à comprendre comment les faits se sont déroulés. À charge et à décharge. Sachant qu’un médecin légiste doit encore examiner Ninef Radjah.

Venons-en à la manifestat­ion. Que faisait Ninef Radjah parmi les Gilets jaunes, ce  janvier ?

Il est étranger aux manifestat­ions des Gilets jaunes. Tout ce qu’il avait prévu de faire ce jour-là démontre qu’il n’avait aucunement l’intention d’y participer. À  h , il était à La Valette. Il avait un rendez-vous qui n’a pas pu se faire – ce n’est pas de son fait et nous l’étayons dans l’enquête. Comme il habite à La Seyne, un ami l’a ramené en voiture à Toulon, où il devait prendre le bateau-bus pour rentrer chez lui. D’abord, il est arrivé sur la place de la Liberté, où il voit que les forces de l’ordre font usage de gaz lacrymogèn­es. Il explique qu’il donne un coup de main à une personne âgée qui tousse. Puis il descend place Louis-Blanc, en bas du marché. Or, il y a un cordon policier tout le long du port. Il ne peut pas accéder au bateau-bus. Il est environ  h. Il se dit : « J’attends que ça se décante ». Il y a le match de rugby qui commence. Il est amateur de rugby, un sport qu’il a pratiqué. Et il papillonne un peu autour de Mayol.

Mais pourtant, ça dégénère.

Il se trouve alors au bout de l’avenue du port, à proximité du stade. Il entend des gens crier. Il s’est retourné et s’est trouvé face à des forces de l’ordre – à une distance qu’il évalue à moins de dix mètres. Il a eu un moment de surprise, de sidération.

Car en réalité, tout était calme autour de lui. Il n’est pas témoin de violences ou de heurts avec la police. Et donc il ne se méfie pas. C’est alors qu’il a reçu un tir de lanceur de balles de défense.

Selon vous, il n’y a pas de doute, sur la nature du tir ?

Les forces de l’ordre qui sont en face de lui, et qui ne sont pas identifiée­s, ont des boucliers, portent casques et matraques. Il y a une charge, mais lui ne se sent pas visé. Il y a concomitan­ce entre des détonation­s et la blessure. Je rappelle que Ninef Radjah a une fracture de l’orbite de l’oeil. Le choc est très violent. La véritable question est : pourquoi un LBD a-t-il été utilisé ?

L’emploi de LBD pendant des manifestat­ions a été validé et confirmé par le conseil d’État.

Le LBD est une arme de neutralisa­tion. On ne neutralise pas quelqu’un qui ne présente aucun danger. Le LBD mutile les gens. On ne l’utilise pas quand c’est calme. Si les forces de l’ordre veulent disperser une manifestat­ion, elles ont un arsenal pour le faire, grenades lacrymogèn­es, assourdiss­antes, ou canons à eau. Voire, elles chargent avec des matraques. Nous avons demandé la saisie des PV des forces de l’ordre qui sont intervenue­s. Les images de vidéosurve­illance de la ville seront exploitées également.

Que s’est-il passé pendant les minutes qui ont suivi ?

Quand il a reçu le choc, il n’est pas tombé. Il titube sur quelques mètres. Des gens le voient marcher en zigzag et vont vers lui, le soutiennen­t et l’éloignent le plus possible de l’endroit où il se trouve. Il se souvient avoir marché sur de l’herbe. Ainsi, il traverse le rond-point, jusqu’à la station-service où des « street medics » des Gilets jaunes le prennent en charge, avant que les pompiers n’arrivent. Sur une vidéo, on voit aussi un pompier s’approcher des forces de l’ordre qui arrivent, pour expliquer qu’un blessé se trouve là.

Quel est l’état d’esprit de Ninef Radjah, avec le recul ?

L’enquête va être longue et difficile. Aujourd’hui, Ninef Radjah cherche à comprendre ce qu’il s’est passé, mais dans le même temps, il n’a pas de haine, pas de rancoeur. Peut-être parce qu’il ne réalise pas totalement.

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On ne neutralise pas quelqu’un qui ne présente aucun danger ”

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(Photo Patrick Blanchard) Dans le cabinet de Me Didier Caporossi vendredi, avocat de Ninef Radjah.

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