Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
La République sondagière
Votre fille ou votre fils peine à trouver du boulot ? Dites-lui d’aller taper à la porte d’un institut de sondage ! Le labeur n’y manque pas. Il fut un temps pas si lointain où les enquêtes d’opinion s’égrenaient au rythme du calendrier électoral. Rares, elles étaient épiées comme le lait sur le feu. Puis tout s’est emballé, jusqu’à l’overdose. Plus un jour ne passe désormais sans qu’on nous serve, à grand renfort de grandiloquence, notre pitance quotidienne de statistiques. Sur Macron, les Gilets jaunes, et tant d’inépuisables sujets. Préfère-t-on Griezmann ou Mbappé ? Drucker ou Nagui ? La cancoillotte ou le reblochon ? Le cassoulet ou la choucroute ? La peste ou le choléra ? Plus rien n’échappe au catalogage millimétré des instituts qui triturent l’opinion en tous sens. La preuve, c’est encore l’un d’eux, OpinionWay, qui va faire le tri des contributions déposées sur le site du Grand Débat. Plus d’un million, déjà, depuis cette semaine. Bon courage pour la synthèse ! Les élus de tout grade ont largement participé à cette floraison sondagière : il n’est plus beaucoup de maires de grandes villes qui n’y aient recours pour tester, plusieurs fois par an souvent, l’état d’esprit de leurs administrés et leur adhésion à la politique municipale. Au fond, les Gilets jaunes n’ont fait que s’engouffrer dans les tergiversations d’une démocratie représentative où la peur de ne pas être aimé a pris le dessus sur le courage de déplaire. Ce courage, Emmanuel Macron l’avait, indéniablement. Par excès de confiance, il a dilapidé ce capital pour se retrouver sous le joug de la vox populi, dans ce qu’elle a de meilleur comme de pire. Le Grand Débat signe la victoire de la démocratie participative et son fatras de contradictions. C’est, malgré tout, au pouvoir qu’échoit le défi paradoxal d’y mettre bon ordre. Les sondeurs diront vite s’il reste assez respecté pour cela. Il faut le souhaiter.
« La peur de ne pas être aimé a pris le dessus sur le courage de déplaire. »