Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Toujours dans la course

Né en Algérie, Ahmed est aujourd’hui responsabl­e d’un store-PMU. Itinéraire d’un enfant de La Gabelle...

- Textes : Philippe MICHON pmichon@nicematin.fr Photos : Philippe ARNASSAN

La tête toujours bien haute, les deux mains enfoncées dans les poches de son jean, le pas sûr et tranquille, la ‘‘chouffe’’ toujours en éveil, la silhouette longiligne d’Ahmed Touil sillonne depuis quatre décennies les deux rives du Pédégal.

Deux bises par ci, un salut de la tête par là, une franche poignée de mains à d’autres, cet enfant d’Algérie, né en 1970 à El Asnam, a débarqué à Marseille à l’âge de trois ans. « Pour me soigner ! Car jusqu’à l’âge de 3 ans, je n’arrivais pas à marcher. Manque de vitamines ou autres, mes parents ont décidé de m’amener en France, terre sur laquelle j’ai fait mes premiers pas. »

Six mois après son arrivée dans la cité phocéenne, sa famille s’installe dans le quartier de La Gabelle à Fréjus. Après avoir fréquenté l’école Giono et le collège du Stade, il s’oriente vers une formation de mécanicien au garage Le Ponant, avenue de Lattre-de-Tassigny, avant de poursuivre chez Citroën pour le compte de la famille Bacchi-Bouteille.

Comme tous les minots de ce quartier, Ahmed partage son temps entre son boulot et les potes. Et comme tous les jeunes des cités, il joue avec le feu pour finalement se brûler les ailes en raison de quelques mauvaises fréquentat­ions. Non pas à La Gabelle uniquement, « mais j’ai croisé la route de quelques voyous d’Avignon à Nice en passant par Marseille », confie le quinquagén­aire qui, après quelques menus trafics, passera quatre ans derrière les barreaux de la prison de Draguignan.

« Cette mauvaise expérience m’a permis de me remettre sur les rails. J’en ai profité pour passer mon CAP mécanicien. Quelque part, j’ai appris à travailler en société. J’ai aussi appris que dans ce milieu de crapules, il n’y a jamais d’amis. Pour la petite histoire, je suis entré en prison un vendredi 13 en 1993. C’est pour ça que je n’aime pas le vendredi 13… »

À sa sortie, Ahmed se range des camions. En 1998, il prend la gérance du bar Le Provençal, situé juste en face de La Gabelle. « J’avais signé pour un an et j’y suis resté 18 ans. Je me suis régalé derrière le comptoir. C’était la belle époque… ». Politesse, respect et service sont alors les maîtres mots du patron qui tient d’une main de fer, mais dans un gant de velours, son établissem­ent. Il y fête la naissance de son fils, il y reçoit le préfet du Var et le député Georges Ginesta, lors de réunions pour le plan de sauvegarde La Gabelle. Il accueille le commissair­e-divisionna­ire Morena pour régler quelques problèmes quotidiens au sein du quartier. Pour Ahmed, pas de distinctio­n d’origine, de condition sociale : tout le monde est le bienvenu. Puis un dimanche après-midi, « deux hommes cagoulés et armés font irruption. L’un d’eux passe derrière la caisse alors que l’autre prend le fils d’un ami, âgé de 7-8 ans, en otage. Avant qu’ils partent, j’ai réussi à arracher la cagoule de l’un d’eux. Ils ont lâché le petit et sont partis en courant. On les a suivis mais impossible de les rattraper. Leur voiture a été retrouvée brûlée dans la banlieue lyonnaise. C’est mon plus mauvais souvenir », confie du bout des lèvres ce républicai­n convaincu qui, au passage, met les points sur les « i ». « Je connais très bien les rumeurs. Non je n’ai jamais été un “indic” car je n’ai jamais eu rien à indiquer à personne. En revanche, j’ai de la sympathie pour le commissair­e Morena. J’étais en quelque sorte le tampon entre le commissari­at et La Gabelle. J’ai toujours ouvert mes portes à tout le monde et même aux autorités et les services de l’État. Je suis un républicai­n convaincu. La France est une belle république car elle donne la chance à tout le monde. À condition de s’ouvrir aux autres… » Car pour lui, pas de secret.

« Il faut aller au-devant des autres. C’est la raison pour laquelle j’étais contre la constructi­on de la mosquée à La Gabelle comme j’ai toujours préconisé que le centre social ou La Poste soient en dehors du quartier. Sinon, les habitants vivent en autarcie et ne sortent jamais de leur cité. Lorsque j’avais le Provençal juste en face, ne serait-ce que traverser le passage clouté, les clients étaient déjà ailleurs. J’ai grandi à La Gabelle avec des Italiens, des Espagnols, des Pieds-noirs, c’est un quartier comme un autre. Mais aujourd’hui, les gens et surtout les jeunes n’échangent plus avec les autres. Donc ils se referment sur eux-mêmes… », déplore celui qui, depuis deux ans, est à la tête d’un Store-PMU, au 326 avenue du Général Leclerc à Saint-Raphaël.

« Le seul et unique dans le Var ! D’ailleurs sur le même principe que les bookmakers anglais, nous allons, aux mois de mars-avril, accueillir la Française des jeux et pouvoir parier sur tous les sports. Football, rugby, tennis, etc. » annonce celui pour qui la vie n’a jamais été un long fleuve tranquille.

« Je me suis remis sur le droit chemin en m’ouvrant vers l’extérieur. »

Et toujours avec la tête bien haute…

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La France est une belle république car elle donne la chance à tout le monde”

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