Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Son calvaire à Haïti
Saint-Raphaël Cyril Costilhes, parti travailler à un reportage sur le vaudou, a vécu les dramatiques événements de février. Il raconte la pauvreté du peuple et la corruption du pays
Il a bien failli de pas en revenir. A 42 ans, le Raphaëlois Cyril Costilhes raconte Haïti à feu et à sang pendant ce mois de février où il était parti y travailler à un reportage photographique.
Comment avez-vous trouvé le pays quand vous y êtes arrivé ?
Je savais déjà que le pays était l’un des plus dangereux au monde, instable et anarchique même lorsque la période est calme. J’avais pris mes précautions en me faisant guider par un colosse, habitué à assurer la sécurité des journalistes et à les emmener sans risque au coeur de la vie haïtienne. Là-bas, un homme blanc ne peut pas se balader seul dans une rue. Mais je devais rester un mois pour peaufiner mon projet sur le vaudou, commencé par plusieurs voyages en Afrique, au Bénin. Je voulais aussi faire des photos du carnaval, très important à Haïti. Comme un symbole de la crise qui secoue Haïti depuis le février, la capitale, Port-au-Prince, a annulé toutes les festivités liées au carnaval. Je suis arrivé le premier février et j’ai commencé à faire des photos. Mais du jour au lendemain, la situation s’est tendue, le pays s’est fermé.
Dites-nous en plus…
Comme en France, c'est parti d’une hausse du prix du pétrole. Ça a déclenché un mouvement de révolte. Mais c’était très violent. Des manifestations ont pris de l’ampleur pour réclamer la démission du président Jovenel Moïse, et de meilleures conditions de vie. Ils ont baptisé ce mouvement « Opération pays lock [bloqué] ». Mais là-bas, c'est le royaume des gangs et des mercenaires armés et payés par les politiques pour déstabiliser tel ou tel parti. Au départ, c’était des mobilisations populaires qui n’en peuvent plus de leur pauvreté. Ils survivent à peine. Mais les gangs sont venus dans les rues, et il y avait des coups de feu tous les soirs. Et ça tirait à belles réelles. Il y a eu des morts. La corruption règne en maître. On dirait que ça a toujours été comme ça et que ça sera toujours comme ça.
Au départ, le scandale Petrocaribe ?
Oui, c’est le déclencheur du mouvement, porté par les habitants les plus pauvres. La Cour des comptes a publié son rapport sur le programme Petrocaribe, instauré en par le Venezuela pour vendre à des conditions avantageuses du pétrole aux Caraïbes. Haïti a adhéré en à l’association qui regroupe pays. Petrocaribe était censé fournir de l’énergie à des nations aux faibles revenus, en contribuant à leur développement. Concrètement, les pays adhérents recevaient du pétrole, de l’essence, du mazout dont ils ne payaient au comptant que %, le reste devant être remboursé en vingt-cinq ans. Les sommes économisées devaient impérativement être investies dans le développement, l’éducation, la santé, les infrastructures… Mais à l’arrivée, les fonds ont été dilapidés et très peu des projets (cantines populaires, écoles, habitat social, construction de routes) ont abouti. L’argent s’est évaporé (détournements, favoritisme) : , milliards de dollars, qu’Haïti va devoir désormais rembourser au Venezuela.
Qu’avez-vous fait ?
Et bien les gens - je veux dire Blancs - qui travaillent là-bas ou qui font du tourisme sont dans des hôtels ou des maisons sécurisés avec des stocks d’eau et de nourriture. Mais moi, j’avais loué une petite maison loin du centre, au sein même des quartiers haïtiens. J’ai dû rester cloîtré dans l’habitation pour éviter de me faire tuer. Je n’étais pas une cible en tant que Blanc car leur ennemi, c’est l’État. Mais le pays était plongé dans un tel chaos qu’on risquait sa vie en sortant. On ne pouvait plus circuler, les routes étaient coupées, il y avait des barricades. La ville était paralysée. J’étais en relation téléphonique avec le consulat qui me disait de ne surtout pas bouger.
Cela a dû être très effrayant ?
Oui, c’était angoissant parce qu’il était impossible de savoir combien de temps cela allait durer, ni prévoir comment les choses allaient tourner. C’était cette situation imprévisible qui était la plus alarmante : jusqu’où les violences allaient-elles monter ? Jusqu’où ça va aller ? La capitale où je me trouvais, Portau-Prince, était comme assiégée : routes coupées, habitants terrés chez eux… Il n’y avait plus d’école, plus aucune banque ouverte, plus d’accès aux médicaments, à l’hôpital, à la nourriture, à l’eau. Les aéroports étaient fermés. C’était trop dangereux d’essayer de passer les barrages jusqu’à la frontière.
Comment faisaient les habitants ?
Les Haïtiens aussi restaient cloîtrés chez eux. C’était bien trop dangereux de sortir dans la rue. Ma voisine n’est pas sortie avec ses enfants pendant dix jours. Mais les Haïtiens peuvent boire leur eau du robinet. Mais pas les Européens comme moi. C’est mon guide haïtien qui parvenait à traverser les quartiers pour me ravitailler en eau et nourriture chaque jour. Sans lui, je ne sais pas comment j’aurais fait. Personne ne pouvait rien faire pour nous, sur place. Il n’y avait plus d’électricité. Au fil des jours, c’était de plus en plus difficile de trouver de l’eau. Ça a duré une douzaine de jours et ça virait à la crise sanitaire.
Vous avez dû vous demander si vous réussiriez à partir ?
J’entendais des hélicoptères. C’était les gens riches qui se faisaient évacuer. Le consulat n’avait pas les moyens de faire rapatrier les gens, tout était bouclé et trop dangereux. Mais il a averti quand il y a eu un répit.
C’est à ce moment que vous avez pu partir ?
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Les politiques ont dilapidé des millions qu’Haïti doit rembourser au Venezuela”
Oui, j’ai pris une société privée, qui travaille avec les ambassades, les patrons de banques. Ces spécialistes sont venus avec un véhicule blindé et m’ont emmené jusqu’à un hôtel de l’aéroport. Dès qu’il y a eu un vol, je l’ai pris.
Que faire pour améliorer la situation d’Haïti ?
Le problème, c’est que dès que vous envoyez de l’argent là-bas, c’est volé par les politiques corrompus. Le peuple n’a jamais vu la couleur des milliards que tous les pays ont envoyés après le terrible tremblement de terre de . La corruption, c’est la pire du monde à Haïti. C’est tellement dommage car c’est un pays formidable.