Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Les deux frères et les lions, la pièce qui a du mordant
Tirée d’une histoire vraie, cette pièce que les protagonistes veulent faire interdire, est un succès en France et sera jouée au Palais des congrès, mardi. L’auteur, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, raconte
La soirée s’annonce savoureuse. Ce mardi, le Palais des congrès programme Les deux frères et les lions. Du théâtre pour le grand public, festif et ludique, qui s’appuie sur une aventure originale et passionnante.
La pièce est tirée d’une histoire vraie et fait polémique puisque les protagonistes ont porté plainte et veulent faire interdire sa diffusion. Joué savamment par deux grands comédiens, le spectacle promet beaucoup de rires, d’émotions et de réflexions. L’auteur et acteur, Hédi Tillette de Clermont Tonnerre, formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, et récompensé de nombreux prix, raconte.
Comment vous est venue l’idée de cette pièce ?
Il s’agit d’une commande de Mona Guichard, directrice de la Scène nationale de Cherbourg. Elle voulait une histoire sur les îles anglo-normandes qui ont un statut très particulier. Ni Françaises, ni complètement britanniques bien que rattachées à la Couronne, elles ont gardé leur propre droit coutumier. J’ai d’abord fait un travail journalistique en allant sur le terrain pour comprendre le fonctionnement des îles et des habitants. J’ai rencontré Sophie Poirey, maître de conférences en droit normand à l’université de Caen. Et j’ai découvert la vie de ces deux frères jumeaux, une incroyable épopée, qui a nourri l’écriture de la pièce. Mais j’ai voulu qu’elle soit facile d’accès, grand public.
La pièce est donc drôle ?
Oui, elle est écrite et jouée de manière à être très drôle mais aussi à appeler à la réflexion. D’ailleurs à la fin, on propose un débat avec les spectateurs qui peuvent poser leurs questions et échanger avec nous.
Cette oeuvre remporte un formidable succès partout où elle est jouée…
Oui et elle a reçu en le prix de la critique au festival d’Avignon. Elle fait toujours salle comble et c’est extraordinaire de voir les gens émerveillés et de les faire rire. Cette réussite, je l’explique parce que le public a soif d’apprendre, de s’étonner, de s’évader mais aussi de réfléchir. Les gens sont stupéfaits de découvrir qu’il existe encore des coutumes féodales, le droit de crever un oeil à sa femme mais pas les deux, le droit de battre sa femme mais raisonnablement… Nous avons joué à guichets fermés pendant quatre mois à Paris, au théâtre PocheMontparnasse. Si bien qu’après une tournée, nous y sommes revenus et nous y jouons encore. Ce sera bientôt la e. Nous faisons juste une relâche mardi février pour nous produire à Saint-Raphaël. Puis à nouveau Paris et nous repartirons ensuite en tournée.
Donnez-nous un avant-goût de cette histoire pittoresque…
La pièce commence comme une veillée au coin du feu. C’est un conte tiré d’une histoire vraie. Il dresse le portrait de deux frères jumeaux issus d’un milieu pauvre en Écosse qui vont devenir l’une des plus grandes fortunes de Grande-Bretagne. Les jumeaux milliardaires nous convient dans leur château-bunker qu’ils ont fait construire sur l’île anglonormande de Breqhou pour boire le thé et nous raconter leur vie. Immigrés écossais dans un quartier populaire de la banlieue de Londres, raillés par les Anglais, ils ont seize ans au milieu des années cinquante. Revanchards et travailleurs, ils vont profiter d’un contexte économique favorable pour sortir de leur condition : l’industrialisation de l’Angleterre, les « trente glorieuses » puis l’essor du capitalisme et ses dérives au cours des années -. Ils ont triomphé de tout mais en , âgés de ans, riches et puissants, quinzième plus grosse fortune de Grande-Bretagne, ils veulent faire hériter leurs filles respectives.
Et c’est là qu’ils relèvent un sacré défi ?
Oui car ils découvrent qu’ils sont dans l’incapacité de faire hériter leurs enfants. Ils ont voulu s’installer dans un paradis fiscal mais il y a un envers à ce décor. Les îles anglo-normandes sur lesquelles ils ont domicilié leur empire sont régies par un droit dont la particularité est d’établir un mode successoral qui privilégie les fils et exclue les filles de la succession. Peut-être mais ce sont celles des habitants et ils sont très attachés à leurs usages et traditions, leur histoire et leur identité. C’est une guerre et une bataille judiciaire qui vont opposer les jumeaux aux habitants qui refusent de réformer leur ancien droit coutumier. On assiste à l’affrontement de deux mondes : d’un côté les méthodes libérales de deux milliardaires égocentriques et de l’autre la crispation insulaire d’identité, prêts à défendre un droit archaïque et sexiste. Le projet initial était, en effet, de faire découvrir au grand public le droit normand qui a subsisté dans ces îles jusqu’au début du XXIe siècle.
Et qui gagne ?
Les milliardaires saisissent l’Europe et c’est finalement la Cour européenne des Droits de l’homme qui tranchera en leur faveur. En , les députés de l’île de Sercq votent l’abrogation du droit normand. C’est véridique. À travers leurs parcours d’autodidactes, c’est une histoire en creux du capitalisme qui se raconte. C’est aussi le destin exceptionnel de deux gamins stigmatisés qui deviennent des monstres froids et égoïstes au coeur de nos sociétés démocratiques.
Comment arrivez-vous à faire comprendre toute la problématique ?
Le spectacle alterne entre du théâtre récit et des séquences plus cinématographiques dans lesquelles les deux frères se mettent à jouer les moments clefs de leur ascension spectaculaire. Ce va-et-vient entre le temps de la représentation et le temps du souvenir est souligné par les lumières de Sébastien O’Kelly. De plus, les « flash-back » sont rythmés par les projections vidéo de Christophe Waksmann qui immédiatement, comme des toiles peintes, contextualisent géographiquement et temporellement la scène : le siège du Daily Télégraph, le hall d’un hôtel, un hangar désaffecté sous la lune. La musique originale de Nicolas Delbart se veut l’équivalent d’une bandeson de cinéma.
Il y avait un gros potentiel à creuser dans ce sujet ?
Il y a le thème des jumeaux, celui de la réussite puis un thème musical pour chaque souvenir qui souligne le contrepoint ou, au contraire, dramatise la situation. Par exemple, le thème hitchcockien pour la scène du vote vient renforcer le caractère impossible du choix entre une loi sexiste et deux milliardaires ultra-libéraux. Enfin le défi était
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Des coutumes féodales : le droit de crever un oeil à sa femme mais pas les deux ”
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Une bataille judiciaire contre les habitants de l’île anglo-normande ”
de mettre en scène des jumeaux. Nous avons réalisé avec Vincent Debost un travail choral : être ensemble, dans le même rythme, commencer et finir une pensée à deux, chacun apportant sa nuance, rendant la performance vivante et singulière.
Vous jouez avec la comédienne Lisa Pajon…
C’est une très grande actrice. Lisa Pajon, formée au Conservatoire d’art dramatique d’Orléans puis à l’École supérieure d’art dramatique de Paris et enfin au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de la Ville de Paris, est également psychologue clinicienne. En , nous avons fondé ensemble le Théâtre Irruptionnel, que nous codirigeons et avec lequel nous proposons une dizaine de spectacles un peu partout en France, au festival d’Avignon… Notre prochaine pièce parlera de la censure ! Palais des congrès, ce mardi 26 février, 20 h 30. Tél. : 04 98 11 89 00.