Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Sommée de payer pour son père meurtrier

Son père a tué sa mère il y a 36 ans. Laurence a reçu dernièreme­nt un courrier réclamant de payer ses frais de santé. La Cannettane s’insurge et veut changer la loi

- SANDIE NAVARRA snavarra@nicematin.fr

Des années de souvenirs enfouis qui ressurgiss­ent en quelques secondes. En ouvrant son courrier le 16 novembre dernier, Laurence Le Goff, Cannettane de 46 ans, a replongé dans l’horreur. « Tout est revenu. Les cris, le sang, les odeurs. » La terreur de ce funeste 11 décembre 1982.

Le jour où son père Daniel a tué sa mère Josiane de deux coups de fusil de chasse, alors qu’elle n’avait que 10 ans.

La famille vivait à l’époque dans Le Maine-et-Loire. « Après ça, mon frère, ma soeur et moi avons été séparés et placés dans la famille. Je suis venue chez un oncle que je connaissai­s peu et qui habitait Mandelieu. » Laurence grandit et se reconstrui­t sur la Côte d’Azur. Son père écope de 14 ans de prison. Il sera libéré au bout de huit.

« Je ne souhaite ça à personne »

Elle ne le reverra qu’une seule et unique fois. « Quand j’avais 21 ans, je l’ai retrouvé. Il travaillai­t sur les marchés. Je suis allée à son stand, acheter un fromage. Au moment de payer, je lui ai dit : “Je suis ta fille, je ne te dois rien.” Et je suis partie. »

Une rencontre express qui lui permet pourtant d’exorciser les fantômes du passé. De remettre ce géniteur à sa place d’humain et plus de monstre. « Jusquelà, j’avais toujours l’appréhensi­on de le croiser et de ne pas le reconnaîtr­e. » Puis Laurence devient maman. Fonde sa propre famille composée de trois enfants. Mène sa carrière d’agent d’accueil dans une

société mouansoise « Nous n’avions jamais reparlé de tout ça avec mon frère et ma soeur. »

« Hors de question de lui donner un centime »

Jusqu’à ce courrier du départemen­t du Maine-etLoire, où son père a été placé en Ehpad. « On nous a demandé de fournir des tas de documents pour savoir si nous étions solvables afin de payer ses frais de santé. »

Relevés bancaires, avis d’imposition, certificat­s de scolarité des enfants, bulletins de salaires, justificat­ifs de prestation­s sociales... La liste est interminab­le. Une intrusion insupporta­ble. « Ça fait tellement mal que je ne le souhaite à personne. » Laurence s’insurge. «Ma première réaction a été de me dire que j’allais me surendette­r pour ne pas avoir à payer. Hors de question de lui donner un centime. » Pour contester cette demande, elle est obligée de replonger dans le drame. Retrouver les articles de presse de l’époque pour prouver ce qu’il s’est passé. « J’ai appris beaucoup de détails que je ne connaissai­s pas. Par exemple, c’est ma soeur qui avait insisté ce jour-là pour aller voir mon père car c’était sa fête et elle voulait lui offrir un cadeau. A notre arrivée, il a dit à ma mère “moi aussi j’ai un cadeau”. Il est allé chercher un fusil et lui a tiré dessus. »

Durant un mois, Laurence angoisse. « La lettre est arrivée à la même période que le drame. J’ai dû expliquer ce qu’il s’était passé à mon petit dernier qui a 9 ans, car il voyait que quelque chose n’allait pas. » Le 14 décembre, elle reçoit un courrier laconique indiquant qu’elle est « exonérée » de ses obligation­s après étude du dossier.

Une propositio­n de loi

Une missive insuffisan­te pour cette mère de famille qui a depuis décidé d’agir avec sa soeur Françoise « pour que cela ne se reproduise pas. Pour pouvoir se reconstrui­re. Pour être reconnues comme victimes. Pour ne pas être déconstrui­tes par un retour du passé. Pour le droit à l’oubli. »

Toutes deux ont élaboré une propositio­n de loi visant au retrait de l’autorité parentale aux parents maltraitan­ts ou indignes. Un document qu’elles espèrent soumettre aux députés de leurs départemen­ts respectifs.

  signatures pour la pétition

« Ce n’est pas compliqué à mettre en place. S’il existait un fichier de victimes de violences familiales, les autorités pourraient le consulter avant d’aller réclamer de l’argent. Aujourd’hui, il existe un article 221-5-5 qui permet la déchéance totale ou partielle de parentalit­é en cas de condamnati­on, mais pas de façon systématiq­ue, ce qui fait qu’il est très rarement autorisé. »

Le cas de la famille Le Goff ne semble pas si isolé à en croire les nombreux témoignage­s recueillis via sa page Facebook Un fichier une loi.

« Nous avons lancé une pétition en ligne qui a déjà recueilli près de 5 000 signatures. »

 ?? (Photos Patrice Lapoirie) ?? Laurence Le Goff et sa soeur Françoise ont souhaité médiatiser leur histoire afin que d’autres victimes n’aient pas à vivre leur calvaire. Elles ont rédigé une propositio­n de loi pour que les parents maltraitan­ts ou indignes soient déchus de leurs droits parentaux.
(Photos Patrice Lapoirie) Laurence Le Goff et sa soeur Françoise ont souhaité médiatiser leur histoire afin que d’autres victimes n’aient pas à vivre leur calvaire. Elles ont rédigé une propositio­n de loi pour que les parents maltraitan­ts ou indignes soient déchus de leurs droits parentaux.

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