Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
« J’écris toute la journée jusqu’à ce que je n’en puisse plus ! »
Au programme, des échanges avec trois écrivains, des lectures et la projection d’un film au CGR
Elle a renoncé très tôt à une « quelconque carrière ». Prof, rédactrice, traductrice, Maryline Desbiolle a fini par miser sur l’écriture. « Ce qui était une gageure », avoue-t-elle. Depuis plus de trente ans, elle donne de la voix aux silencieux destins varois et azuréens. Sous une plume ciselée, la romancière met en lumière des pans d’histoire, livre un autre regard avec des personnages authentiques tel cet ouvrier du barrage de Malpasset à Fréjus, ou encore le cinéaste Alfred Machin, personnage principal de son dernier roman. De véritables aventures qui témoignent d’un appétit littéraire intact, après plus d’une trentaine d’oeuvres. Rencontre avec cet auteur, prix fémina 1999 pour Anchise, présente lors de cette 2e édition d’Entrelivres.
Dans quelles circonstances avezvous été amenée à participer à cette e édition d’Entrelivres ?
C’est une histoire d’amitié. Philippe Fusaro, écrivain et libraire à Valence, m’a proposé de participer à l’aventure littéraire.
Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Le côté expérimentation. C’était présenté comme une chose inédite puisqu’il était question d’inviter d’autres écrivains, de participer à une lecture avec un musicien. Cela me paraissait un peu différent de ce que l’on propose d’habitude.
Le président d’Entrelivres cherche des auteurs à la fois simples et cultivés dans l’échange. Comment envisagezvous ces rencontres ?
J’espère être à la hauteur (rires). Je pense profondément qu’on peut être simple et cultivé, sans pour autant renoncer à une littérature de recherche. Il faut être sincère. C’est le maître mot. J’ai déjà dit beaucoup de choses dans mes livres je ne peux pas le dire tellement mieux. En revanche ce qui m’intéresse c’est de répondre aux questions quelles qu’elles soient et le plus sincèrement possible.
Vous avez publié en 1987 votre premier ouvrage. Qu’est-ce qui vous a conduit à prendre la plume ?
Rien ne me prédestinait à être écrivain. Je ne viens pas d’un milieu très cultivé. Mes grandsparents étaient illettrés, exceptée ma grand-mère. Depuis toute petite je suis fascinée par l’écriture et les livres. J’ai toujours écrit de petites histoires, des poèmes. Déjà, à l’époque, ces écrits étaient construits comme un livre. Mes parents m’achetaient des petits cahiers que j’organisais avec une pagination, des illustrations. Ce qui est drôle c’est que mon plaisir était d’écrire des livres plus que des histoires ou poèmes.
Dans quelles conditions écrivez-vous ?
J’habite dans une maison un peu à l’écart de tout. De Nice et de mon village. J’écris tous les jours. Je m’impose cette discipline, l’après-midi à heure fixe. Je ne crois pas du tout à l’inspiration. Beaucoup d’auteurs écrivent le matin tôt, certains le font en disant « comme ça ensuite j’en suis débarrassé ». Précisément, je ne tiens pas du tout à m’en débarrasser. Je souhaite que ce soit l’essentiel de ma vie. Du coup, l’écriture occupe la majeure partie de ma journée, jusqu’à ce que j’en puisse plus. Cela demande une énergie assez grande.
Vous avez publié une trentaine d’ouvrages. Parfois deux par an ces dernières années...
Il y a des choses parfois différentes du roman, autour de l’art, où j’ai parfois des commandes. C’est vrai que je travaille encore plus qu’avant. Lorsque j’ai trouvé mon éditeur au Seuil, Denis Roche, au fond je pense que cela m’a donné de l’énergie. Et puis il y a eu le premier succès en librairie avec La Seiche, suivi du Prix Fémina avec Anchise. Avec le recul, c’est une sorte d’encouragement.
Que représente un tel prix dans une carrière ?
Contrairement à ce qu’on dit des prix là c’était complètement inattendu. C’est un livre qui est sorti en mars et n’était pas du tout destiné au Prix Fémina. Cela a été une totale surprise. La veille mon éditeur me disait que cette fois-ci, c’était fichu mais que pour l’année d’après on avait des chances. Pour dire à quel point c’était inattendu. Et cela renforce un peu mon sentiment que c’était la cerise sur le gâteau. Cela m’a enlevé cette attente. Publier en septembre, tout ça est tout de même très aliénant... Outre que cela a multiplié les ventes cela a contribué au fait que je n’y pense plus. Et c’est vraiment très bien. Cela m’enlève une belle épine du pied. L’idée d’écrire en vue des prix c’est frustrant, car c’est quand même improbable d’avoir un prix.
Dans Rupture vous évoquez le barrage de Malpasset. Vous inspirez-vous souvent des faits de société de votre région ?
Beaucoup de mes romans se passent non loin de chez moi. Tout simplement parce que je ne crois pas à l’exotisme, on a tout sous la main. Mon ambition est d’explorer les mêmes choses en les redécouvrant. Là, c’était différent. J’ai découvert les ruines du barrage, ce paysage magnifique et effrayant m’a frappé. En vérité, la maison des écrivains avait commandé des textes sur le climat. J’ai réfléchi à ce barrage avec une sorte d’émotion en pensant à tous ces gens qui ont oeuvré. Le chantier m’a beaucoup intéressé, j’ai découvert des archives jamais consultées sur sa construction. Ce livre est vu depuis un ouvrier du chantier. C’est la plus grande catastrophe civile qu’ait connue la France, et qui est complètement oubliée aujourd’hui à part dans le Var. J’ai eu entre-temps une autre commande. D’avoir attendu, ça m’a permis de mûrir cette histoire. Attendre c’est aussi vérifier qu’on y tient vraiment. Puis je l’ai écrit avec enthousiasme.
Vous clôturez cette aventure littéraire avec un texte « Vous » lu sur des musiques interprétées par Patrick Vaillant, mandoliniste. Ce n’est pas commun...
Ce qui avait été proposé un peu à la légère est devenu une véritable usine à gaz. C’est une improvisation mais préparée. Nous nous sommes beaucoup rencontrés avec Patrick Vaillant qui fait une musique très savante et à la fois populaire. C’est passionnant car il a une écoute de musicien, il donne des indications de lecture. C’est totalement différent comme approche, pas évident car la lecture dure minutes. C’est une aventure éphémère. Je n’aurai jamais imaginé que cette préparation nous mènerait si loin. J’espère être à la hauteur de cette gageure !
‘‘ J’écris tous les jours. Je m’impose cette discipline”