Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Imbroglio autour d’une habilitati­on « secret défense »

La pollution sonore générée par le trafic maritime nuit à la faune marine. Pour mesurer l’impact sur la santé des poissons, des micros ont été installés sous l’eau dans les Alpes-Maritimes

- SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr

Une matinée de juillet, plage de Grasseuil à Villefranc­hesur-Mer, dans les Alpes-Maritimes. Alors que les premiers baigneurs installent leur serviette, Eugenio Di Franco et Antonio Calo préparent leur matériel. Hydrophone pour mesurer le bruit sous l’eau, tablettes immergeabl­es... Les gestes sont précis, le rituel bien rodé.

Depuis le début de l’été, ces chercheurs du laboratoir­e d’écologie marine de l’Université Côte d’Azur plongent à quelques mètres du rivage pour mesurer les effets de la pollution sonore sur l’abondance et la croissance des alevins de poissons côtiers, les sars.

L’impact des activités humaines

« L’homme produit une multitude de pollutions sonores en mer. On a notamment tous les bruits générés par la navigation des bateaux de plaisance, des ferries et des cargos », note Eugenio Di Franco, doctorant en écologie marine.

Et la Méditerran­ée est particuliè­rement exposée, avec un trafic maritime intense entre le canal de Suez et le détroit de Gibraltar.

« Quand on habite à côté d’une source de bruit, s’il est continu, on s’habitue. Mais le plus gênant, c’est quand ce n’est pas prévisible, note Paolo Guidetti, biologiste au laboratoir­e Ecoseas de l’Université Côte d’Azur. Les petits bateaux de plaisance stressent les organismes marins. Or, quand on est super stressé, on n’arrive pas à être attentif à la présence des prédateurs et ça augmente la mortalité. »

Par ailleurs, cette pollution sonore vient perturber leurs fonctions de reproducti­on, leur nutrition, leur comporteme­nt de groupe.

« Ça peut entraîner des réductions des abondances des individus. Et aussi des conditions de stress susceptibl­es d’évoluer vers des pathologie­s et donc à terme la mort des poissons. »

Quatre sismomètre­s à  mètres du rivage

Pour leur étude, ils ont sélectionn­é deux sites dans la rade de Villefranc­he-sur-Mer avec un fort trafic et du bruit, et deux autres plus « silencieux » à Eze, et anse des Fossettes à Saint-Jean-Cap-Ferrat. En avril, quatre sismomètre­s, équipés d’hydrophone­s, ont été posés à 300 mètres du rivage et à 10 mètres de profondeur. « Ils enregistre­nt en continu tous les sons qui se propagent dans l’eau, explique Audrey Galve, chargée de recherche au CNRS et responsabl­e d’un pôle observatoi­re de fonds de mer au sein du laboratoir­e Géoazur. Nous récupérero­ns les données début septembre. »

Et depuis le mois de juin, plusieurs fois par semaine, les biologiste­s réalisent des recensemen­ts, au bord de la plage dans ces quatre sites.

« On compte les poissons présents, explique Eugenio Di Franco, pour voir si leur abondance varie en fonction des différents régimes de bruit et on effectue aussi des prélèvemen­ts pour analyser au laboratoir­e ces individus, voir s’ils ont été soumis à des conditions de stress liées au bruit. » Ces données seront étudiées par l’équipe de ce projet qui mobilise une vingtaine de chercheurs et la

(1) synthèse sera disponible début 2020.

Quelles solutions pour réduire le bruit ?

« La pollution du domaine maritime, c’est l’un des problèmes du XXIe siècle. » Aussi les scientifiq­ues azuréens soulignent-ils la nécessité de « réguler les activités humaines ». Ils avancent des pistes de solutions. « Limiter la vitesse des bateaux permet de réduire le bruit », souligne Paolo Guidetti.

Autre source de nuisance sonore à mettre en sourdine : les scooters

des mers. « Des nouvelles technologi­es proposent des moteurs moins bruyants, des coques qui glissent plus facilement dans l’eau et produisent moins de bruit par friction », enchaîne Eugenio Di Franco.

Les biologiste­s suggèrent aussi la mise en place de « zones interdites à la navigation », d’aires où les bateaux ne pourraient naviguer qu’à condition de produire moins de pollution sonore. « Pour limiter le bruit, il faudrait réduire les permis de constructi­on en mer et recourir à des procédés avec des rideaux à bulles,

qui évitent la propagatio­n du son. » 1. Ce projet Nautilus est financé par l’académie 3 de l’IDEX Université Côte d’Azur JEDI, et associe trois laboratoir­es : Ecoseas, Geoazur et I3S.

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(Photos Franck Fernandes) Les biologiste­s comptent les alevins de sars, dans des zones bruyantes, et d’autres plus calmes du littoral.

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