Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Son bilan culturel vu par Aillagon, Lang et Nouvel
Jean-Jacques Aillagon et Jack Lang, ex-ministres de la Culture, ainsi que Jean Nouvel, l’architecte du musée du Quai-Branly, reviennent sur la passion de Jacques Chirac pour le dialogue des civilisations
Jean-Jacques Aillagon l’a encore rencontré il y a quelques semaines. Ce proche de Jacques Chirac, très attaché à Nice (il préside la commission de candidature de la Promenade des Anglais au patrimoine mondial de l’Unesco) veut rendre hommage à un autre aspect de sa personnalité et de son engagement. « J’ai eu le bonheur de travailler pour Jacques Chirac. D’abord à la mairie de Paris, puisque j’ai été son directeur des Affaires culturelles. Ensuite, quand il est devenu Président, comme ministre de la Culture. Et j’ai conscience de tout ce qu’il a apporté à notre pays. »
« Il aura été celui qui a dilaté notre horizon culturel en l’élargissant aux horizons du monde entier. Il aura été le grand président du dialogue des cultures. Son goût personnel le portait vers les civilisations de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique précolombienne. Il savait que nous n’étions pas les seuls, nous Européens, à avoir produit une culture. Que d’autres étaient également dépositaires de grandes cultures qu’il convenait d’abord de connaître et, bien sûr, de respecter. L’intérêt de l’humanité étant de faire en sorte qu’elles se parlent les unes aux autres. Pour qu’elles ne deviennent pas des intégrismes, mais demeurent des territoires de liberté. » Jacques Chirac, c’est le musée du Quai Branly, à Paris. Un projet majeur qui a « contribué à l’enrichissement culturel de notre pays ».
Jean Nouvel :
« Ce musée, sa passion »
Ce musée, c’est Jean Nouvel qui l’a conçu. L’architecte, qui vit entre Paris et Saint-Paul, a connu Jacques Chirac alors qu’il était encore maire de Paris. « Par la suite, il s’est révélé être un Président de culture. Qui, sur le plan de l’architecture, a marqué la capitale par différentes décisions. Dont la première a été la démolition d’un immeuble de Ricardo Bofill sur les Halles, qui aurait été une chose sûrement très lourde. La deuxième, tout aussi importante, a été de mettre tout son poids dans la balance, face à Giscard d’Estaing, pour sauver le Centre Pompidou. »
Jean Nouvel lui rend grâce enfin de l’édification d’un musée voué aux arts premiers. « Il a suivi le jury et m’a confirmé sa confiance pendant tout le processus, absolument séduit et même très convaincu par le projet architectural. »
Ce musée, officiellement intitulé Quai Branly-Jacques Chirac, était « vraiment sa passion », se souvient Jean Nouvel. Auparavant, Chirac l’avait épaulé dans le dossier de l’Institut du Monde Arabe : « J’avais eu la bonne idée de prévoir ce bâtiment sur l’emplacement de deux voies de bus qu’il venait juste de créer », dit l’architecte en souriant. « Il m’a soutenu immédiatement. »
« Le personnage était très direct. Très chaleureux. Cette façon d’être était en lui, il communiquait, exprimait ce qu’il ressentait. »
Jack Lang : « Le dernier grand fauve »
L’Institut du Monde Arabe (IMA), c’est aujourd’hui Jack Lang qui le préside. Et c’est d’abord sur le terrain politique que cet autre ancien ministre de la Culture, à qui l’on doit le sauvetage du Palais de la Méditerranée, à Nice, entend le resituer. « Il était un combattant. Un guerrier. Un peu comme François Mitterrand. Tous deux se sont affrontés avant de coexister. » Opiniâtreté, détermination, pugnacité : « J’ai toujours admiré ces qualités, cet homme était peut-être le dernier de nos grands fauves. » Sur le plan culturel, le bilan du maire de Paris est plus nuancé, selon Jack Lang. « J’essaie d’être juste. Comme Premier ministre ou Président, il n’a pas spécialement favorisé le ministère de la Culture. En revanche, il a été à l’origine de plusieurs grandes réalisations. » Jack Lang pense notamment au Louvre Abu Dhabi, dont Chirac a été l’inspirateur et qui est «une grande réussite internationale ». Mais également au Louvre Lens, « dans le pays minier », décision prise contre l’avis d’un membre de son gouvernement. Et, bien entendu, au Quai Branly, témoignage de « sa passion authentique, profonde, solide, pour les arts premiers », Jack Lang souligne même « sa grande érudition ».
Revient en conclusion le souvenir d’inlassables combats. Chirac souhaitant « tout, sauf la victoire de Giscard en 1981 ».
Ou Mitterrand préférant vraisemblablement Chirac à Balladur en 1995. « C’était tumultueux, c’était orageux », conclut Jack Lang, en se félicitant d’avoir connu, par la suite, des rapports plus courtois : « Quand Chirac est devenu Président, Mitterrand a apprécié ses premiers mois. À l’exception, il faut le dire, de la reprise des essais nucléaires. »