Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Parce que Boudjellal !

- RAPHAËL COIFFIER

Qu’elle est loin l’époque où le minot Mourad traînait ses guêtres dans le quartier mal famé du Petit Chicago. Des rêves en tête. Façonnés par les héros de l’enfance. Et non ces silhouette­s patibulair­es, éclusant les bars déshabillé­s, une fois leurs soldes à quai... De l’encre a depuis coulé sous les ponts. Des vies se sont consumées. Au pluriel, tant de l’adolescent à l’adulte, l’homme a bourlingué son look rock’n roll sur des scènes aussi éclectique­s qu’électrique­s. Avec aplomb ! N’a-t-il pas, à 15 ans, mis sur pied un festival de BD à Toulon, puis à Hyères ? Première bulle soufflée sur une destinée dessinée à force de travail. De tchache. De prises de risques. Propres à ce fort en gueule. Rompu aux bagarres, dernier qu’il est d’une fratrie de quatre enfants... Le Toulonnais n’écoute donc que son instinct. Son flair. Se forge une armure. Une image pour atteindre sa première planche : une librairie en couleurs, Bédule.

Mais il voit déjà au-delà des rayons. De la caisse enregistre­use délaissée sur un tas de feuilles mortes. Pour renaître dans la peau de l’éditeur. Son premier amour au bord de la rupture à plusieurs reprises... Les éditions Soleil peinent ainsi à décoller. Sauf qu’il est écrit en lettres capitales que le Toulonnais est né sous une bonne étoile. En 1991, coup de poker. L’idée germe de rééditer l’intégrale de Rahan. Les ventes explosent avec 4 millions d’albums écoulés. L’alchimiste insiste dans cette voie lactée. Ressuscite les Tarzan, Mandrake, Flash Gordon. Ose aussi la création de Lanfeust de Troy sous le trait de crayon de Didier Tarquin. Le patron ne s’est pas trompé. Les vaches enragées ont regagné l’étable. Les gourmets ont remplacé les conserves. Les grands crus le père Julien. Il n’est pas rare de le croiser, boulevard de Strasbourg, au volant de sa Maserati. L’argent ne manque pas. Il ne s’en cache pas. En profite...

Pourtant, dans cette ville longtemps aux mains du Front National, Mourad Boudjellal passe encore pour un parvenu. Sa réussite est jalousée. Il n’en a cure. Mène sa barque. Côtoie des originaux. Des artistes libres. Dont la parole décalée le séduit. Lui qui ne sait déjà pas trop tenir sa langue... Seulement, l’ennui le guette. Il a besoin d’entreprend­re. De se diversifie­r. De faire vibrer sa corde sensible, constammen­t dissimulée sous des couches d’ironie ou de provocatio­n.

Fan du RCT - comme tout bon Toulonnais qui se respecte - il verse dans le sponsoring du club avec Soleil. Le loup est cette fois dans la bergerie. Il n’en sortira pas de sitôt... En mai 2006, avec le restaurate­ur Stéphane Lelièvre, il en prend possession. Investit 6 millions. Promet monts et merveilles aux supporters en mal de titres...

Las, le Zorro de l’Ovalie galère. Sur le pré où les résultats sont médiocres. À la ville où il essuie des insultes racistes. « On ne va pas quand même pas laisser le fleuron de Toulon à un Arabe » a-t-on même entendu dans les arcanes du pouvoir. Ne mangeant pas de ce pain noir et même s’il y a eu des désaccords parfois entre les deux fortes têtes, le maire de Toulon, Hubert

Falco, lui accorde toute sa confiance. Le soutient dans son projet de redonner au muguet toute sa splendeur.

C’est un bouquet que l’athée intégriste - comme il se définit - offrira au peuple de Besagne. Bousculant les lignes du rugby. Choquant les dinosaures. Emboitant le pas au précurseur de l’ovale spectacle, Max Guazzini.

Tana Umaga rejoint dès lors le RCT en Pro D2. Impensable ! Le transfert fait l’effet d’un séisme. Il ne sera que le premier d’une longue série galactique...

Fier, à juste titre, de cet énorme coup, le trublion enchaîne les buzz. Gregan, Matfield, Oliver, Mehrtens, les champions du monde défilent à Mayol. Toulon crève l’écran. Défraye la chronique. Mais ne gagne pas encore la reconnaiss­ance sportive. Plutôt celle du fiel... L’éditeur vend alors une partie de son ADN. Ses parts de Soleil aux éditions Delcourt. Pour se consacrer à temps complet à son club. Son entreprise en prise « avec l’économie réelle ». Qu’il fait fructifier à tour de bras.

Les RCT Stores ouvrent leurs portes. Les affiches sont délocalisé­es à Marseille et Nice. Le prix des billets gonfle aussi. « Une star n’est pas gratuite » confessera-t-il.

Et ici, tout devient différent. À chaque coin de rue, au bar, au bureau, on cause Rcété. Surtout que si l’épisode Saint-André se solde par un demi-échec, vierge de trophée, celui, folkloriqu­e, dirigé par le sorcier Laporte donnera enfin raison aux promesses boudjellal­iennes. Trois Champions Cup et un bouclier de Brennus ! La coupe est pleine avec les Wilkinson, Botha, Giteau... Mourad au zénith. Au point d’être une voix qui compte. À la radio, à la télé, il est partout. Parle cash. Agace et séduit. Jusqu’aux politiques, Macron et Estrosi en tête. Des prises de position, au détail près que « je ne m’engagerai jamais devant les électeurs. »

Il assume ses choix. Refuse de se taire et se terrer dans la bien-pensance. Comme ce jour où, dégoûté après une défaite contre Clermont, il lâchera : « J’ai connu ma première sodomie arbitrale en demi-finale du Top 14 contre Clermont, ce soir je viens d’en connaître une seconde et

je n’aime pas ça... » Résultat : une interdicti­on de stade de 130 jours qui ne l’empêchera pas de figurer en tribunes. Comme un défi aux instances. Car il s’en fiche des ronds de cuir jamais en retard à la cantine. Il leur préfère l’action. La modernité. Parfois le bras de fer. Il avait même poussé le bouchon jusqu’à vouloir inscrire le RCT dans le championna­t anglais ! Mais il aime trop la France et le Var - en dépit de régulières infidélité­s à Miami pour les priver de leur cathédrale.

Où la religion se chante en guerrier. Pilou. Pilou.

Seulement, depuis quelques saisons, le précurseur est victime de sa politique. Le Top 14 a imité Toulon. Les milliardai­res ont ouvert les robinets. Favorisant la migration des géants. Si bien que son monstre de puissance a perdu de sa vigueur. Rentrant dans le rang. Insupporta­ble aux yeux de cet hyper sensible. Allergique à l’échec. D’où son pacte avec Bernard Lemaître. Passé depuis le 2 décembre actionnair­e majoritair­e du club. « C’est un moment difficile pour lui mais il va vite rebondir » tempérait, mercredi dans nos colonnes, l’homme d’affaires.

Des moments difficiles, MB en a tant vécus. Paradoxale­ment, souvent en silence. Des souffrance­s gommées par d’intenses joies. Fruit de son investisse­ment. À l’image de cette finale européenne à Dublin vécue prostré dans un taxi.

« Quand Soleil recevait des prix au festival d’Angoulême, il était souvent submergé par l’émotion et ne pouvait pas assister physiqueme­nt à la cérémonie » racontait Didier Tarquin. Étonnant à l’écouter fanfaronne­r sur les plateaux. Devant les micros. En fait, son vernis se gratte. Au vitriol. Sans viol. Sans craindre, aussi, les fausses pistes. La séduction intéressée. Les affaires sont les affaires...

En tout cas, même ses pires ennemis n’auront pas la morgue de salir son parcours à la tête du RCT. Devenu une institutio­n. Bientôt une fabrique à champions. Voire un ascenseur social pour les gamins des quartiers.

Ce gamin qu’il n’a jamais cessé d’être du haut de ses 59 ans. Blaguant volontiers sur de petits riens lorsque ses angoisses s’apaisent. Alors, détestable Mourad Boudjellal ? Aziza, sa fille, détient la

clé des sentiments. « Il est entier. Honnête. Bosseur. Courageux. Ce n'est pas un fou. C'est un génie. L'essentiel, c'est qu'il soit heureux. Avec le RCT ou un club de pétanque, je m'en fiche. » De là à ce qu’il se mette à croiser le fer aux Lices...

‘‘ On ne va quand même pas laisser le fleuron de Toulon à un Arabe”

‘‘ C’est un moment difficile pour lui mais il va vite rebondir... ”

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