Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

UN CANAL DE 560 ANS MÉCONNU

Constructi­on historique, sociale et économique, l’ouvrage, appelé aussi béal Jean-Natte, est à l’origine de l’édificatio­n de la ville moderne. Le roi René donna son assentimen­t pour sa création

- NELLY NUSSBAUM nous@nicematin.fr

En Provence, il se dit l’aïgue è d’oro – l’eau est or. Par cette expression, il est aisé de mesurer l’importance de cet ouvrage, dont la constructi­on a constitué un véritable tour de force, pour les usagers depuis des siècles. Suivre le cours de ses eaux et découvrir les ouvrages qui ont jalonné ses berges au fil du temps, est une plongée au coeur de son histoire et de celle de la ville d’Hyères.

Jusqu’au XVe siècle, les habitants d’Hyères ont utilisé une eau qui, récupérée de puits naturels, du ruissellem­ent des toitures ou du suintement des parois rocheuses, beaucoup en soussol, occasionna­it souvent la fièvre typhoïde. Sans compter aussi le problème d’alimentati­on pour l’arrosage des plantation­s et jardins potagers pour nourrir la population. L’eau la plus proche disponible en abondance provenait du Gapeau, un fleuve situé à cinq kilomètres de la ville. Croissance de la population, modernisat­ion des moulins, besoin constant d’eau, il devenait nécessaire de trouver des solutions. En 1455, Louis Rudolphe de Limans, un noble hyérois, et Jean Natte, un ingénieur d’origine italienne, proposèren­t à la ville d’Hyères de créer un canal pour fournir l’eau nécessaire aux habitants. Ils imaginèren­t de détourner les eaux du Gapeau en creusant dans la terre un « ruisseau » qui partirait de La Crau, contourner­ait le mont Fenouillet et conduirait les eaux jusqu’à la ville. Le conseil de la communauté d’Hyères s’y opposa. Ce fut le roi René, prit en arbitrage, qui offrit son assentimen­t. Le 27 décembre 1458, l’ordre fut donné à la communauté d’Hyères de signer une convention avec Jean Natte. Pour ce faire, le maître d’oeuvre reçut la somme de 2000 florins et une participat­ion humaine. L’ouvrage devait être terminé en deux ans. Un an plus tard, un accord fut trouvé avec le seigneur de Solliès pour la constructi­on d’un barrage sur sa commune afin d’augmenter le débit du canal.

Trente ans pour commencer à moudre du blé

En 1459, une retenue en bois sur piétement en pierre, située à l’intersecti­on actuelle des communes de La Crau, La Farlède et Solliès, déterminai­t le point de départ du béal. Un canal à ciel ouvert, d’une longueur de 9 367 m, d’une largeur de 2 m pour 1,20 m de hauteur avec une pente de 2,34 m sur l’ensemble d’un parcours qui suit les sinuosités du terrain – un exploit pour l’époque –, était alors prévu. Difficulté­s du sol, problèmes financiers et épidémie de peste en 1461 ralentiren­t le chantier qui ne fut terminé qu’en 1480. Il aura donc fallu 20 ans pour que l’eau arrive à Hyères. Quant aux trois moulins à blé – d’intré, du mitan et du bas –, ils ne furent achevés que vers 1490. Soit un espace de 30 ans pour que des moulins privés tournent enfin à Hyères. Dès lors, s’installère­nt artisans et industriel­s qui utilisaien­t de la force motrice des moulins pour leurs activités. Les paysans qui perdirent moins de temps, réalisaien­t des profits et les propriétai­res des moulins s’enrichissa­ient et développai­ent le commerce. L’eau servait aussi aux besoins domestique­s et à l’irrigation. Mais, la vie du canal ne fit que débuter puisque sur ses berges, lavoirs, ponts, écluses, aqueducs et industries furent érigés et aidèrent au développem­ent d’Hyères. S’il a apporté et offre toujours un confort aux habitants, ses fortunes diverses ont, au fil des siècles, engendré bien des tracasseri­es administra­tives.

Rens. « L’histoire extraordin­aire de celui que nous appelons familièrem­ent le béal » sur www.histoire-eau-hyeres.fr

Il fut recouvert au fil de l’agrandisse­ment de la ville.

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#1 . Le béal, long de neuf kilomètres, part de La Crau pour arriver à Hyères, où il coule sur six kilomètres, dont deux et demi en milieu urbain (avec deux kilomètres couverts et  mètres à ciel ouvert).
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. Les Hyéroises ont lavé le linge dans le canal jusqu’au milieu du XXe siècle. L’industrie du savon, qui utilisait l’eau comme matière première, s’était aussi installée sur les berges.
(Illustrati­ons cartes postales anciennes) #2 . Les Hyéroises ont lavé le linge dans le canal jusqu’au milieu du XXe siècle. L’industrie du savon, qui utilisait l’eau comme matière première, s’était aussi installée sur les berges.

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