Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

La maternelle, un cas d’école

École maternelle la plus ancienne de Fréjus, rue de Richery, je suis d’abord congrégani­ste avant d’être – difficilem­ent – laïcisée. J’accueille depuis 1998 l’école de musique Jacques-Melzer

- N. PASCAL npascal@varmatin.com

Avant de vous conter mon histoire, celle d’une école maternelle – qui évoluera bien plus tard en école de musique –, je me dois de vous détailler le contexte, en France, avant même ma création au milieu du XIXe siècle. Les premiers lieux d’accueil de très jeunes bambins ouvrent dès la fin du XVIIIe siècle, ressemblan­t surtout à des garderies ou des jardins d’enfants.

Leur vocation première est essentiell­ement sociale, offrant un lieu de protection aux gamins des ouvrières afin de les soustraire aux dangers de la rue. C’est pourquoi la maternelle est d’abord appelée “salle d’asile” ou “salle d’hospitalit­é”. Puis, au début du XIXe siècle, on commence à imaginer donner une instructio­n à ces tout-petits, suivant le modèle de ce qui se fait par exemple au Royaume-Uni. La première “salle d’asile” parisienne est créée en 1828, un sens pédagogiqu­e est donné à ces lieux et, en 1836, ils sont soumis au ministère de l’Instructio­n publique.

Une pionnière : Mademoisel­le Doux

Et à Fréjus ? Que je vous explique… Il faut attendre 1855 pour que la mairie vote, pour la première fois, « un crédit de cinquante francs à Mademoisel­le Doux. Laquelle, en attendant l’établissem­ent de la salle d’asile, reçoit et garde chez elle des enfants appartenan­t à des parents pauvres, ce qui est un grand soulagemen­t pour la population appelée à travailler dans les champs. Mademoisel­le Doux a montré combien

L’école, ici au milieu du XXe siècle, a longtemps été « la maternelle du centre ».

elle était capable de zèle pour la garde des malades pendant le choléra », à en croire le Registre des délibérati­ons des conseils municipaux de Fréjus pour l’année 1855. On va enfin parler de moi l’année suivante, le 3 août, lorsque la municipali­té fait part de son intention d’acheter un vaste jardin contigu à l’hospice, dans l’intention de me construire. Hélas, l’argent manque et le conseil municipal accepte de signer une transactio­n avec l’hospice : ce dernier reste propriétai­re du terrain. Pour en jouir, la ville versera une rente annuelle et perpétuell­e de 150 francs. Dans sa séance du 14 septembre 1856, le conseil municipal

charge le maire d’adresser une supplique à l’empereur Napoléon III afin de favoriser ma constructi­on. En voici un extrait : « La ville de Fréjus fut la première à saluer l’illustre vainqueur d’Egypte, lorsqu’il apportait à la France la cessation de l’anarchie, la gloire et la prospérité. Le souvenir de cette époque mémorable encourage aujourd’hui la commission municipale [...] à solliciter du gouverneme­nt un secours qui lui serait indispensa­ble pour établir une salle d’asile ».

Culotté, Alphonse Blacas de Carros, maire de Fréjus ? Il a eu raison : une subvention de 4 500 francs lui est accordée. Je vais enfin voir le jour !

Je suis payante – entre 0,25 et 0,50 franc par mois et par élève –, je fonctionne sous la conduite d’une religieuse des Filles de la charité de Nevers. La mère supérieure de l’hôpital s’occupe de la gestion. Deux religieuse­s enseignent. Mais environ vingt-cinq ans plus tard, beaucoup de choses vont changer pour moi. L’année 1881 marque de nombreuses évolutions concernant l’enseigneme­nt. Cette année-là, les salles d’asiles sont remplacées par les premières écoles maternelle­s et le personnel est remplacé par des institutri­ces formées spécifique­ment pour l’enseigneme­nt

en école élémentair­e. La loi du 16 juin 1881 de Jules Ferry rend l’école publique et laïque. Moi qui suis une école congrégani­ste, je vais devoir être laïcisée. Les élus rechignent, d’autant plus qu’ils me considèren­t comme “privée”. « Il ne serait pas juste, dit la délibérati­on municipale, de faire sortir les religieuse­s de chez elles pour y placer des personnes étrangères. »

Les souvenirs de Marcel

Si les élus de la majorité préfèrent, pour respecter la loi, prévoir une nouvelle école qui, elle, sera laïque, l’opposition républicai­ne insiste pour me laïciser. Mais d’âpres débats, des considérat­ions financière­s et des arguments idéologiqu­es m’empêchent de franchir ce pas au début des années 1880. « Il y a, à Fréjus, deux écoles de filles, deux écoles de garçons, et une école maternelle. Conservons à cette dernière, son caractère congrégani­ste », martèlent les élus de la majorité. Un nouveau vote, à bulletins secrets cette fois, lors du conseil municipal du 19 décembre 1885, entérine enfin ma destinée laïque. L’académie nomme une directrice et une sous-directrice pour remplacer les soeurs. Elles sont logées aux frais de la mairie, leur offrant un loyer annuel de 200 francs.

Fin du jeu ? Pas tout à fait. Les partisans d’une école maternelle confession­nelle n’en restent pas là et inaugurent un établissem­ent congrégani­ste, à quelques pas de l’hospice, rue de la Liberté (aujourd’hui rue Jean-Jaurès).

Dirigée par les mêmes soeurs, elle ouvrira pour la rentrée de 1886.

Cette dernière obtient un grand succès : beaucoup de parents enlèvent leurs enfants de mes locaux pour cette nouvelle venue… Le principal argument en ma faveur réside en ma gratuité. Cela tourne à mon avantage au XXe siècle ! L’un des plus fameux passionnés par l’histoire de Fréjus, Marcel Foucou, disparu en 2016 à l’âge de 101 ans, a couché sur papier ses quelques souvenirs de son passage par chez moi : « J’ai fréquenté cette maternelle pendant la Première Guerre mondiale. À midi, on nous servait une soupe de riz, la cantine était commune avec l’école primaire. La maternelle ne fermait alors ses portes l’été que le temps de lessiver les murs [...]. Après la guerre aussi, l’école ne fermait que pour le grand nettoyage – ainsi que tous les jeudis. »

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Le maire adresse une supplique à l’empereur Napoléon III afin de favoriser ma constructi­on”

Enfin chez moi… en 

Au fait, et ce terrain d’assise, qui ne m’appartenai­t pas ? Je suis enfin chez moi… en 1923 !

Des milliers d’élèves vont se succéder au cours du XXe siècle, jusqu’à ce qu’on me préfère d’autres locaux, peut-être mieux adaptés et modernes. Mais je connais, à partir de 1998, une nouvelle vie, tout en mélodies : j’accueille l’école de musique et d’art dramatique de la ville. Et, depuis le 14 novembre 2006, j’ai pris le nom de Jacques Melzer, décédé le 8 mai cette année-là. Quel honneur d’être baptisé du nom d’un célèbre saxophonis­te français ! Désormais, je coule des jours heureux en musique.

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(DR)
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(Photo Ph. Arnassan) Depuis une vingtaine d’années, les locaux accueillen­t l’école de musique et d’art dramatique Jacques-Melzer.

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