Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Ma rando’ : La nature en solo, pour le meilleur… et pour le pire
C’est l’histoire d’une rencontre. Et comme dans toutes les histoires de ce type, au départ, rien ne laissait présager un rapprochement entre les protagonistes. L’objectif est clair : c’est la dernière rando de la série estivale, je pars seul. Sans photographe. Rien que moi et la nature. Le silence seulement perturbé par le bruissement du vent dans les arbres, ou le chant des nombreux oiseaux qui peuplent le site. Le site, parlons-en. La réserve de Fondurane est un petit périmètre de biodiversité préservée, dans un coin du lac de Saint-Cassien, en Pays de Fayence. C’est là qu’Anaïs, rédactrice pour Var-matin, avait dompté un étalon pour une randonnée équestre mémorable.
Mais cette fois, c’est à pied que je compte découvrir le territoire “sauvage”. Man vs.
wild : me voilà.
Bon, en réalité, entre le balisage du sentier et les nombreux panneaux explicatifs qui jonchent le parcours, difficile de vraiment se perdre dans une contemplation méditative. Reste un sentiment particulier au moment des premières foulées : un apaisement certain, loin des tumultes de la ville, accompagne mes pas tandis que se dessinent autour de moi les paysages tantôt forestiers tantôt aquatiques du cap nature.
Bientôt arrive la première halte. Et j’en prends plein les mirettes.
Sur un petit pont, le lac s’étend devant moi, et dans la douceur de cette matinée, seul devant cette vue magnifique, rien ne laisse présager de ce qui va suivre. Car, je le répète, je ne vais pas rester seul très longtemps.
La marche reprend. Le long du lac, les points de vue idylliques se multiplient, dans un calme parfois troublé par le remous de l’eau provoqué par la ligne d’un pêcheur en quête d’une belle prise.
Et arrivent les premiers bourdonnements.
On pourra dire ce qu’on voudra, personne n’est jamais vraiment tout à fait habitué à l’introduction d’un insecte vivant dans son orifice oculaire. Alors quand une demi-douzaine de taons décident de m’accompagner, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit au départ d’une décision unilatérale. Mais la nuisance est encore supportable.
La marche se poursuit donc, avec un bruit de fond moins agréable qu’au début, mais la présence de l’insecte est pour l’heure intermittente. Et les paysages traversés compensent aisément les gesticulations produites pour éloigner l’animal. Mais le taon n’a pas dit son dernier mot. La deuxième partie de la randonnée commence. Sur un large chemin, la forêt se dévoile, entre chênes et pin au pied desquels poussent des fougères. Le lac perce parfois l’horizon, avant de le boucher intégralement lorsque le sentier parcourt ses rives. La zone est marécageuse, ce qui me laisse espérer que mon hygiène corporelle n’est pas un facteur déterminant pour les taons qui deviennent de plus en plus affectueux. Et nombreux. Au plus fort de notre relation, ils sont quelques dizaines à voler autour de moi, cherchant une piste d’atterrissage sur mon teeshirt rouge sang (dont se nourrit la femelle pour le développement de ses petits). Et quand je tente une ridicule course pour semer la nuée, c’est un bourdonnement moqueur qui finit toujours par revenir bercer ma marche… Bizarrement, les insectes m’offrent un répit inespéré lorsque j’interromps ma balade à la faveur d’un point de vue propre à scotcher les rétines. Et ils sont nombreux. Sur la berge, une cabane se niche dans les arbres pour encourager l’observation des oiseaux. Les taons se tiennent à bonne distance. Plus loin, toujours sur les rives du lac, la vue est époustouflante. Le bourdonnement s’évapore. Ils me manqueraient presque, mes compagnons d’infortune. Et quand le chemin du retour me mène doucement vers mon véhicule, je constate vite un désintérêt de la mouche urticante. Bien sûr, quelques irréductibles poursuivent avec moi la route, mais on sent un manque de conviction dans le vol de l’animal. Quelque chose s’est cassé entre nous. Savent-ils que nos chemins vont bientôt se séparer ? Anticipent-ils mon départ ? Quand enfin j’atteins la fin de la randonnée, cela fait plusieurs dizaines de mètres que les taons ont disparu. Je jette un dernier regard derrière mon épaule, espérant retrouver un petit nuage bourdonnant.
Mais non, je suis seul. Encore seul. Comme toutes les histoires de rencontre, le plus difficile, c’est toujours la rupture. Adieu mes amis.
Au plus fort de notre relation, les taons sont quelques dizaines à voler autour de moi