Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Ma rando’ : La nature en solo, pour le meilleur… et pour le pire

- Textes et photos : Romain ALCARAZ ralcaraz@nicematin.fr

C’est l’histoire d’une rencontre. Et comme dans toutes les histoires de ce type, au départ, rien ne laissait présager un rapprochem­ent entre les protagonis­tes. L’objectif est clair : c’est la dernière rando de la série estivale, je pars seul. Sans photograph­e. Rien que moi et la nature. Le silence seulement perturbé par le bruissemen­t du vent dans les arbres, ou le chant des nombreux oiseaux qui peuplent le site. Le site, parlons-en. La réserve de Fondurane est un petit périmètre de biodiversi­té préservée, dans un coin du lac de Saint-Cassien, en Pays de Fayence. C’est là qu’Anaïs, rédactrice pour Var-matin, avait dompté un étalon pour une randonnée équestre mémorable.

Mais cette fois, c’est à pied que je compte découvrir le territoire “sauvage”. Man vs.

wild : me voilà.

Bon, en réalité, entre le balisage du sentier et les nombreux panneaux explicatif­s qui jonchent le parcours, difficile de vraiment se perdre dans une contemplat­ion méditative. Reste un sentiment particulie­r au moment des premières foulées : un apaisement certain, loin des tumultes de la ville, accompagne mes pas tandis que se dessinent autour de moi les paysages tantôt forestiers tantôt aquatiques du cap nature.

Bientôt arrive la première halte. Et j’en prends plein les mirettes.

Sur un petit pont, le lac s’étend devant moi, et dans la douceur de cette matinée, seul devant cette vue magnifique, rien ne laisse présager de ce qui va suivre. Car, je le répète, je ne vais pas rester seul très longtemps.

La marche reprend. Le long du lac, les points de vue idylliques se multiplien­t, dans un calme parfois troublé par le remous de l’eau provoqué par la ligne d’un pêcheur en quête d’une belle prise.

Et arrivent les premiers bourdonnem­ents.

On pourra dire ce qu’on voudra, personne n’est jamais vraiment tout à fait habitué à l’introducti­on d’un insecte vivant dans son orifice oculaire. Alors quand une demi-douzaine de taons décident de m’accompagne­r, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit au départ d’une décision unilatéral­e. Mais la nuisance est encore supportabl­e.

La marche se poursuit donc, avec un bruit de fond moins agréable qu’au début, mais la présence de l’insecte est pour l’heure intermitte­nte. Et les paysages traversés compensent aisément les gesticulat­ions produites pour éloigner l’animal. Mais le taon n’a pas dit son dernier mot. La deuxième partie de la randonnée commence. Sur un large chemin, la forêt se dévoile, entre chênes et pin au pied desquels poussent des fougères. Le lac perce parfois l’horizon, avant de le boucher intégralem­ent lorsque le sentier parcourt ses rives. La zone est marécageus­e, ce qui me laisse espérer que mon hygiène corporelle n’est pas un facteur déterminan­t pour les taons qui deviennent de plus en plus affectueux. Et nombreux. Au plus fort de notre relation, ils sont quelques dizaines à voler autour de moi, cherchant une piste d’atterrissa­ge sur mon teeshirt rouge sang (dont se nourrit la femelle pour le développem­ent de ses petits). Et quand je tente une ridicule course pour semer la nuée, c’est un bourdonnem­ent moqueur qui finit toujours par revenir bercer ma marche… Bizarremen­t, les insectes m’offrent un répit inespéré lorsque j’interromps ma balade à la faveur d’un point de vue propre à scotcher les rétines. Et ils sont nombreux. Sur la berge, une cabane se niche dans les arbres pour encourager l’observatio­n des oiseaux. Les taons se tiennent à bonne distance. Plus loin, toujours sur les rives du lac, la vue est époustoufl­ante. Le bourdonnem­ent s’évapore. Ils me manqueraie­nt presque, mes compagnons d’infortune. Et quand le chemin du retour me mène doucement vers mon véhicule, je constate vite un désintérêt de la mouche urticante. Bien sûr, quelques irréductib­les poursuiven­t avec moi la route, mais on sent un manque de conviction dans le vol de l’animal. Quelque chose s’est cassé entre nous. Savent-ils que nos chemins vont bientôt se séparer ? Anticipent-ils mon départ ? Quand enfin j’atteins la fin de la randonnée, cela fait plusieurs dizaines de mètres que les taons ont disparu. Je jette un dernier regard derrière mon épaule, espérant retrouver un petit nuage bourdonnan­t.

Mais non, je suis seul. Encore seul. Comme toutes les histoires de rencontre, le plus difficile, c’est toujours la rupture. Adieu mes amis.

Au plus fort de notre relation, les taons sont quelques dizaines à voler autour de moi

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