Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Gérard Holtz : « Le Tour, un rêve d’enfant »

Niçois désormais, il repart pour un Tour. Dont il suivra les étapes sur son écran, loin des plateaux de télévision. Entre deux représenta­tions de Marivaux, puisque le voilà (re)devenu comédien

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Pour ses accès d’enthousias­me, il lui sera beaucoup pardonné. « Dans ma tête, j’ai 5 ans et demi », plaisante – à moitié – Gérard Holtz, dont la rupture d’un tendon d’Achille peine à tempérer l’impatience. Pied droit dans le plâtre et béquilles de rigueur, le journalist­e sportif, trente Tours au compteur en qualité de commentate­ur, suivra l’édition 2020 devant sa télé.

Sa blessure, contractée le 1er août en relevant son scooter, ne l’empêchera pas de camper un Orgon en fauteuil dans Le Jeu de l’amour et du hasard, ce soir et demain sur la colline du château à Nice, puis samedi à Villefranc­he-sur-Mer et dimanche à Beaulieu-sur-Mer. Un Marivaux gratis où son cachet se cantonne au minimum syndical, moins de 100 € par représenta­tion, sur une mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, directrice depuis novembre du Théâtre national de Nice. Rencontre sur les hauteurs de la ville, où le couple a emménagé le 3 juin dans une villa provençale avec vue sur l’avenir.

Comment jouer avec cette méchante blessure ?

Dans un fauteuil roulant customisé avec du velours rouge pour coller à l’époque de la pièce, écrite en . Je joue Orgon, qui manigance pour arranger le mariage de sa fille. C’est un patriarche, ça tombe bien, mon costume aidant, le public ne se rend compte de rien.

Déjà, pourquoi le théâtre ?

Le théâtre est mon ultime passion. Je rêvais d’entrer à la Comédie-Française avant même de m’inscrire en droit et à l’école de journalism­e. Ce lever de rideau culturel me plaît bien : en , j’avais déjà lancé Molière sur le Tour de France. Une douzaine de représenta­tions gratuites avec la compagnie de la Reine, grâce au mécénat d’Optic   dont le contrat avec Johnny Hallyday venait de s’arrêter. Une aubaine. Pour moi, la vie, c’est cadeau. J’ai toujours eu beaucoup de chance.

Beaucoup de chance ?

J’ai failli mourir sept fois. J’ai une énorme cicatrice sur la tête depuis qu’à  ans, je me suis fait scalper par une balancelle en fer. Mon grand-père, ouvrier chez Renault, m’a remis la peau sur le crâne pour m’emmener à l’hôpital. J’ai perdu tant de sang que j’ai attrapé la tuberculos­e.

Plus tard, des tonneaux dans un kart. Puis, en , une chute dans un torrent glacé de l’Himalaya, avec un arrêt cardiaque. Une glissade sur le toit du refuge, lors d’une ascension du mont Blanc. Un crash d’hélicoptèr­e sur le Paris-Dakar en . Bref, sept fois. Beaucoup de chance, donc. J’ai d’ailleurs intitulé mon premier bouquin Je suis bien plus petit que mes rêves, en référence aux Inconnus qui se moquaient de ma taille : je mesure , m, j’assume à%.

Comment avezvous fini par réaliser tous vos rêves ?

Ma vie, au début, c’est Zola. Une enfance à Belleville, le quartier le plus populaire de Paris. Élevé par mes grands-parents parce que mon père, sans boulot, ramassait les jetons sur les autos tamponneus­es. Ma mère étant serveuse dans un bar, le Floréal, où elle se cachait derrière le comptoir pour me donner le sein. Pas de sous du tout, du tout. Je n’ai pas eu un seul vêtement neuf jusqu’à  ans. Sans jamais manger de viande, sauf quand ma grand-mère gagnait un poulet après avoir crié «Quine!» en complétant sa grille de loto.

Vous avez donc fait du chemin…

Une grande partie de ma vie a été faite de coups de foudre. Y compris pour ma femme d’amour, rencontrée le  décembre , à  h , à la Comédie-Française. Un halo tombé du ciel, comme une poursuite au théâtre. Théâtre que j’ai découvert à  ans, quand un copain m’a montré comment décrocher des billets très peu chers pour le poulailler, au sixième.

Ce soir-là, on jouait Le Songe d’une nuit d’été. Absolument magique. Le truc de ma vie. Sauf que le journalism­e a pris le pas sur le cours Simon. Un grand choix à faire, et il était plus raisonnabl­e, n’ayant ni argent ni réseau, d’opter d’abord pour cette voie. Formé, conseillé par Philippe Gildas, je suis devenu grand reporter, passant par la politique étrangère pour couvrir le retour de la démocratie en Grèce ou la guerre d’Octobre en Israël.

Avant de présenter très vite les journaux télévisés de  heures, puis  heures et enfin  heures. Au bout de dix ans, en , François-Henri de Virieu m’a proposé de rejoindre l’équipe de Robert Chapatte… Quarantequ­atre ans de service public !

Avez-vous arrêté sans le moindre pincement au coeur ?

J’ai quitté la télévision par amour. Pour suivre Muriel à la villa Médicis, à Rome, quand s’est arrêté son contrat à la ComédieFra­nçaise. Je ne pouvais pas faire des allers-retours sans cesse, nous sommes un couple fusionnel. C’est une de mes qualités : savoir tourner la page. Avec la satisfacti­on d’avoir mené mon parcours sans magouilles, sans appartenir à aucun syndicat, parti ou clan. En croquant la vie.

Pas de frustratio­n à ne pas commenter à ce Tour  ?

Non, je n’étais d’ailleurs pas un spécialist­e, même si j’ai toujours fait de la bicyclette. J’ai compté à l’occasion de notre déménageme­nt : j’avais douze vélos (depuis, j’en ai donné plusieurs), dont un Thomann de . Le Tour, j’ai adoré. Trente éditions, dont trois à moto, devant des coureurs capables de pointes à  km/h sur un boyau large de  mm ! Moi-même, j’ai fait mon tour de France en , en suivant le parcours de , seul, avec l’assistance d’un copain retraité qui me suivait en voiture.

Le scandale du dopage n’a-t-il pas assombri votre passion ?

En , j’étais tellement écoeuré que j’ai failli raccrocher. Mais ce problème a toujours existé. En , un cycliste est mort de s’être dopé. Lance Armstrong l’a payé cher. On pense que le cancer de Jacques Anquetil était lié aux produits qu’il avait pris. Ce qui n’a pas été le cas de Laurent Fignon. Mais c’est comme en politique : non, tout le monde n’est pas pourri. Je suis persuadé que  % des coureurs français sont clairs.

Malgré la pandémie, cette édition devait être maintenue ?

Oui. Le Tour de France, c’est un retour à l’enfance. Une grande fête populaire. C’est le  juillet pendant trois semaines ! Bien sûr, cette édition sera spéciale, caravane publicitai­re rétrécie, contacts impossible­s. Mais le Tour ne s’arrête pas.

Et il part de Nice, où vous vivez aujourd’hui…

Là encore, un rêve d’enfant. Nos premières vacances, c’était la Normandie à bicyclette. ParisVille­rville [Calvados], soit  km avec une nuit aux Andelys [Eure]. Quand mon père a pu acheter une  d’occasion, une folie : on est tous descendus sur la Côte d’Azur, au camping des Maurettes, à Villeneuve­Loubet. J’avais  ans. À la hauteur de Valence [Drôme], mon père, catastroph­é, s’est arrêté sur le bord de la route en expliquant que nous étions en panne. On a ouvert les portières, le bruit qui l’inquiétait continuait. C’était celui des cigales !

‘‘

Le théâtre, mon ultime passion”

‘‘

J’ai quitté la télévision par amour”

Cette nouvelle vie vous comble ?

Nous avons vendu notre maison de Paris en une demi-journée. Toutes nos affaires dans trois camions, vélos compris, et scooter, guitare, piano à queue, on a emménagé le  juin. Le bonheur, jardin et vue, tout ceci à dix minutes du théâtre. Le paradis !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France