Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
LA NATURE DÉNATURÉE
Les réseaux sociaux dopent la fréquentation de sites sensibles varois Décryptage du phénomène et solutions...
Sillans-la-Cascade. C’est le nom d’un petit village au sud du Verdon. Ce sont aussi 15 000 publications avec ce hashtag (#) sur le réseau social star de partage de photos, Instagram. Pas grand-chose à côté de #GorgesduVerdon – plus de 165 000 publications – ou #calanques (plus de 440 000 publications), mais trop pour la cascade en question qui a vu défiler entre 5 000 et 8 000 visiteurs quotidiens au mois d’août. Entre 50 et 100 photos ont été postées chaque jour sur la plateforme sociale avec cette localisation, faisant du site l’un des « spots » les plus « instagrammables » de la Provence Verte (lire en page suivante) ; preuve de cet engouement soudain, presque un quart des 3 000 avis Google à son sujet ont été postés entre juillet et août dernier. Conséquences ? Le milieu naturel est fragilisé, le personnel débordé, et les visiteurs déçus.
Bien sûr, la belle image n’est pas l’unique coupable de la surfréquentation au cours de cette saison hors normes où peu de Français sont partis en vacances à l’étranger. Mais lorsqu’on lui pose la question, Antoine Prioul, coordinateur des écogardes du parc national du Verdon, répond sans hésiter : « Oui, les réseaux sociaux sont devenus un souci. »
« Chacun met en scène sa vie »
« Avant, on partageait ses photos de vacances une fois, dans son cercle familial, quand elles étaient finies. Aujourd’hui, chacun met en scène sa petite vie, dans l’instant. Et tout est public », décrit l’écogarde. Pas besoin d’être un influenceur reconnu pour être diffusé à large échelle : une photo postée sur une page comptant une centaine d’abonnés peut être trouvée (grâce aux hashtags) et repostée par un compte plus suivi, lui-même reposté par un compte encore plus influent, et l’audience de la publication initiale devient exponentielle.
Problème : contrairement aux organes de publications traditionnels, le sujet n’a « pas la main » sur sa diffusion. Cet été, une société de promotion du sport très connue est allée tourner des images de pratiques extrêmes – certaines interdites – dans les Gorges du Verdon. L’administration du parc a pu visionner le spot avant diffusion et demander couper les images problématiques.
Mais le dialogue, possible avec une société identifiée, devient plus difficile avec les plateformes sociales, voire les influenceurs eux-mêmes. Régulièrement, les écogardes du parc régional essaient de rentrer en contact avec Facebook ou Instagram, la plupart du temps pour tenter de faire supprimer des publications qui contreviennent à la loi : feux de camp illégaux – les 25 écogardes n’en ont jamais autant éteint que cette année –, camping sauvage, plongeons ou démonstrations d’engins motorisés dans des lieux où ils sont proscrits. « Souvent, on n’a pas du tout de réponse », commente Antoine Prioul.
« Des panneaux et des barrières »
Mais le simple désir de selfie peut lui aussi être source de problème : « On le voit à la vasque de Sillans, tout le monde veut faire la photo dans la cascade parce qu’ils l’ont vu en photo, ils ne comprennent pas qu’on leur dise non », appuie le coordinateur des écogardes. La baignade y estpourtant interdite depuis 2011. Les réseaux sociaux communautaires sont aussi dans le viseur : « On a de plus en plus de souci avec les applications collaboratives comme Park 4 night. Par exemple, c’est un petit site sur lequel on tolérait les camions aménagés – un ou deux par semaine. Une personne l’a mis sur l’appli et un soir, huit camions étaient au même endroit. Derrière, il a fallu poser des panneaux et des barrières », regrette Antoine Prioul. Pour lui, la réflexion sur ces sujets doit aussi être menée au niveau national car aujourd’hui, « tout le monde est dépassé ». Les écogardes décrivent une flore meurtrie, « mais qui a la capacité de se régénérer. La faune est encore plus dérangée par la pollution, qu’elle soit sonore à cause des enceintes portatives, ou plastique. On n’est pas loin du moment où les dégâts ne seront plus rattrapables, insiste Antoine Prioul. Si on ne préserve pas ce que l’on a, dans quelques années, tout aura brûlé et le lac de Sainte-Croix ne sera plus baignable. »