Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

AU PETIT MATIN, EN 1916

Pendant que la Grande Guerre faisait rage, ce tableau de Emmanuel-Charles Bénézit apporte le témoignage qu’il existait des coins où la nature respirait la paix.

- ANDRÉ PEYREGNE nous@nicematin.fr

Aux environs de Bormes-les-Mimosas, les montagnes s’étirent mollement le long du rivage. Dans la lumière du levant, elles dessinent des vagues bleutées dont la couleur s’harmonise avec celles du ciel et de la mer.

Leur vision a inspiré Emmanuel-Charles Bénézit, fils de l’auteur du célèbre Bénézit (dictionnai­re de peinture de référence paru au début du XXe siècle). Un matin de 1916, il s’est levé tôt pour venir cueillir sur ce rivage les premières lueurs du jour. Il a planté son chevalet, s’est laissé caresser par la brise marine et aborder par la lumière de l’aube.

Le résultat est le tableau que voici, simplement intitulé « Paysage marin ». Il fait partie des collection­s du musée d’Hyères. En 1916 on était en pleine guerre. Le monde se déchirait, les morts s’entassaien­t sur les champs de bataille. Pendant ce temps, ici, la nature répandait la paix des matins calmes.

Mouvance impression­niste

Le peintre, qui avait 29 ans à l’époque, n’avait pas fui la guerre. Au contraire, il s’était engagé. Mais en 1915, il avait été réformé à cause d’une grave infection pulmonaire. On le croyait à l’article de la mort. Il vint alors s’installer à Gassin puis à Bormes.

Et voilà que le climat de notre région le ressuscite. Ce tableau nous en apporte la preuve. Sans ostentatio­n. Dans la transparen­ce d’une ambiance vaporeuse. Ce tableau se situe dans la mouvance impression­niste. Par ses infimes coups de pinceaux, Bénézit traduit le scintillem­ent de l’eau, le petit mouvement des vagues. Admirez le camaïeu de bleus en lequel se confondent la mer, la montagne et le ciel ! Les reflets roses de la mer se retrouvent dans le ciel. Sous l’apparence de l’improvisat­ion, tout cela est savamment composé. Le paysage est baigné de cette lumière brumeuse du matin qui annonce une journée chaude. On imagine le dialogue silencieux et égoïste de l’artiste avec la nature : ce moment est à lui. Il ne le partage avec personne.

En ce lieu qui, de nos jours, grouille de touristes, l’artiste est solitaire et effacé. Personne à l’horizon. Ah, si, au loin, un voilier. Il faut le voir. Qu’il est petit ! Que fait-il ? Où va-t-il ? Vient-il nous chercher ? Nous fuit-il ? Il est le seul témoin du temps qui passe.

Il y a peut-être quelque chose de spirituel dans ce tableau. Cet endroit où le peintre a quasi miraculeus­ement recouvré la santé est aussi le rivage sacré, où, en 1481, Saint François de Paule a accosté en provenance d’Italie pour se rendre auprès du roi de France Louis XI, malade. Il a protégé de la peste la population de Bormes. On a oublié… Emmanuel-Charles Benezit, devenu conservate­ur à Hyères, du musée qui, aujourd’hui, recèle son tableau, disait ceci à propos de la peinture : « Un tableau n’est pas une affiche, il faut qu’il puisse être vu longtemps et souvent, et être chaque fois autre chose. »

Cette définition sied à merveille à ce paysage marin…

 ?? (Ph. F. Joncour) ?? « Paysage marin ». Huile sur toile x cm. La Banque, musée des cultures et du paysage, ville d’Hyères.
(Ph. F. Joncour) « Paysage marin ». Huile sur toile x cm. La Banque, musée des cultures et du paysage, ville d’Hyères.

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