Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

La semaine de Claude Weill

- Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Lundi

C’était bien plus qu’une librairie. Une institutio­n. Un haut lieu historique du Quartier latin. Riche ou pauvre, intellectu­el en chaire ou étudiant fauché, on y venait acheter, feuilleter, revendre, et quelques fois piquer livres et manuels. La libraire Gibert Jeunes, à l’angle du quai Saint-Michel, fermera bientôt ses portes. Faut-il incriminer Amazon, les circonstan­ces (confinemen­t et manifs à répétition), la spéculatio­n foncière ? L’événement, en tout cas, dit quelque chose de l’époque. Ou plutôt, un changement d’époque…

Mardi

Amazon, justement. Une pétition signée par des élus de gauche et écologiste­s, des personnali­tés de la culture et syndicats de commerçant­s, appelle à un « Noël sans Amazon» et réclame des lois pour protéger le petit commerce contre

« la concurrenc­e déloyale » des géants du e-commerce. Sympathie spontanée. Nous savons tous que le commerce de proximité traverse une période terrible. Nous savons aussi combien il est essentiel à la vitalité de nos villes et villages, à notre qualité de vie.

Mais les choses sont-elles si simples ? Il est tentant de faire du grand méchant Amazon un bouc émissaire. Or la société de Jeff Bezos ne représente jamais que 2,2 % du commerce de détail en France. Ce qui est en jeu, au-delà d’Amazon, c’est l’irrésistib­le ascension du ecommerce, version moderne de la « VPC » comme on disait à l’âge d’or du catalogue de la Redoute. Ce sont des dizaines de milliers d’enseignes et d’entreprise­s référencée­s, de la Fnac au petit producteur local ; des dizaines de millions de consommate­urs qui trouvent là ce qu’ils n’ont pas à portée de main. Qui est prêt à renoncer à cette facilité ?

Alors rechercher un équilibre entre les différente­s formes de commerce,

oui. Taxer les GAFAM (1), s’il est avéré qu’ils sont sous-fiscalisés, bien sûr. Mais attention aux solutions mirages. On n’arrête pas le cours d’un fleuve en lui jetant des pierres.

Mercredi

Oh la jolie boulette. En déclarant que les journalist­es désirant couvrir les manifs « doivent se rapprocher des autorités » Gérald Darmanin met le feu à la médiasphèr­e, déjà chauffée à blanc par le fameux article 24 de la loi sur la « sécurité globale », qui punit le fait de diffuser l’image de membres des forces de l’ordre « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à leur intégrité ». Rétropédal­age. « Doivent » devient « peuvent ». L’art. 24 est amendé pour préciser qu’il ne saurait être question de remettre en cause « la liberté d’informer ».

Rien n’y fait. Le monde médiatique se dresse comme un seul homme. On dénonce une « atteinte à la liberté de la presse » ,une « dérive autoritair­e » ; pour les plus exaltés, un « Etat policier ». Rien que ça…

La vérité est que cet article, destiné à neutralise­r les nuées de pseudorepo­rters à Gopro qui de manif en manif traquent et parfois provoquent l’incident avec les flics pour le filmer et le dénoncer, cet article est si mal fichu qu’il pourrait bien à l’arrivée rater sa cible.

Le problème pourtant est réel. Et ce n’est pas seulement le problème de la police, mais aussi celui des médias. Tant qu’ils continuero­nt, par corporatis­me ou réflexe antigouver­nemental, à couvrir ces dérives et leurs auteurs, leur crédibilit­é ne risque pas de s’améliorer.

Jeudi

Comme un fauve blessé. Comme un éléphant (l’emblème du parti républicai­n) devenu fou : amok. Tandis que Trump, entre deux parties de golf, limoge à tour de bras les traîtres et les tièdes, voilà que ses juristes, qui vont d’échec en déconvenue dans leur marathon procédural, sortent un lapin de leur chapeau : l’avance de Biden serait le fruit d’une conspirati­on « communiste » impliquant le Venezuela, la Chine, Cuba et autres. Un gigantesqu­e hold-up informatiq­ue, réalisé à l’aide d’un algorithme magique, conçu à l’usage d’Ugo Chavez (mort en 2013 !), qui changeait 30 % des voix Trump en voix Biden. Les preuves ? On les attend.

Si elles existent – admettons un instant l’hypothèse – on est en face de la plus grande fraude électorale de l’histoire.

Si c’est faux, on est en présence de ce qu’il faut bien appeler une tentative de coup d’état trumpiste, une attaque sans précédent contre la démocratie américaine, et pour reprendre les termes de Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy­Watch, « le “chef du monde libre” est aujourd’hui le complotist­e en chef ».

Vendredi

Décès à Cannes de Daniel Cordier, cent ans, ancien secrétaire de Jean Moulin. Le chroniqueu­r a eu la chance de rencontrer ce vieux monsieur à l’esprit si vif, pétri d’humour et de culture. La mort, bonne fille, l’a exaucé : il craignait d’être le dernier des Compagnons de la Libération à partir, car il voulait reposer près de chez lui. Il aura été l’avantderni­er. C’est l’ancien ministre gaulliste Hubert Germain, de quatre jours son aîné, qui aura l’honneur, un jour qu’on souhaite le plus lointain possible, de rejoindre le caveau n°9 du Mont-Valérien, pour y représente­r les 1038 héros de la France Libre.

1. Acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

« On n’arrête pas le cours d’un fleuve en lui jetant des pierres. »

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