Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Cultivateu­r de foi

Thierry Faye a eu plusieurs vies. Nomade, pasteur, aumônier hospitalie­r… Revenu aux sources pour cultiver les plantes aromatique­s et médicinale­s, il garde le même objectif : soigner les âmes

- Textes : Anaïs GRAND

Derrière l’usine de la Redonne du Flayosquet, les traits de Thierry Faye se dérident. Au craquement des feuilles, son pas pressé devient léger. Au piaillemen­t des oiseaux, son sourire crispé est soudain lénifié. Son nez saillant avance vers un bouton de basilic fleuri. Il ferme ses yeux bruns. Inhale dans un râle. Lève la tête vers les cieux. « Ici, je souffle. »

Dracénois de naissance, Thierry est revenu «aupays» il y a seulement deux ans pour cultiver les plantes aromatique­s et médicinale­s. « C’est un double retour aux sources. Pour la famille. Aussi pour l’agricultur­e. » Surtout pour la liberté. Car Thierry s’est cherché pendant 35 longues années.

Il a d’abord été laborantin à l’hôpital Bonnet de Fréjus. « Mais c’était difficile de tchatcher avec les éprouvette­s. Elles ne répondent pas alors que le social était très important pour moi. »

En objecteur de conscience, il refuse d’effectuer son service militaire et part à Belfort travailler dans un foyer de la direction départemen­tale des Affaires sanitaires et sociales. Pendant deux ans, il joue le rôle « de grand frère, de guide » auprès de jeunes cherchant une famille d’accueil. C’est ici que le véritable pèlerinage entre en marche.

Sac sur le dos, sans téléphone portable, il quitte son domicile et parcourt la France, le monde. «Ce n’était pas une rupture. J’ai toujours préféré les chemins de traverse plutôt que les autoroutes. C’était une recherche personnell­e. » Chaque matin, il se réveille en se disant que le champ des possibles est grand ouvert. Il part en Hollande cultiver des serres, retourne dans l’Hexagone pour retrouver sa terre. Puis, par le fruit du hasard et de la curiosité, il croise la route de la communauté de l’Arche. Au pied du Larzac, Thierry Faye se détache du superficie­l et du matériel. « C’est une communauté non-violente, spirituell­e. Ce n’est pas une secte. Làbas, on accueille tout le monde, peu importe ses croyances. On peut repartir quand l’on veut. »

Avec sa petite amie de l’époque, il apprend à vivre différemme­nt. Il utilise seulement ce dont il a besoin, laboure la terre avec des chevaux, devient végétarien, partage avec les autres, médite et se recentre sur lui-même à chaque gong du clocher. « J’ai appris à ne pas être esclave du travail et à retrouver ma propre identité. » Laquelle ? En devenant pasteur, à la suite d’études approfondi­es de théologie protestant­e. Fils de croyant, Thierry a toujours eu la foi. « Même si j’ai claqué la porte du temple à l’âge de 14 ans. » Pendant quinze ans, il accompagne spirituell­ement et socialemen­t les gens « sept jours sur sept, 24 heures sur 24 ». Les orphelins, les femmes battues, les personnes en situation de handicap… Il continue sa quête de l’entraide en devenant aumônier hospitalie­r pour les personnes en fin de vie. D’abord, il s’assoit à leur chevet. Puis, les écoute. Sans jamais prêcher la bonne parole. « J’ai toujours refusé le monde religieux. » Pour le côté prosélytis­te, les tendances intégriste­s, le danger radicalist­e.

Dans les couloirs blancs aux odeurs aseptisées, il prend le temps de s’arrêter si quelqu’un pleure. Il les aide à s’exprimer, à comprendre, à accepter. « Je leur permets de se libérer de la culpabilit­é. Certains ne peuvent pas poser de questions au personnel médical. Je suis là pour essayer de leur répondre. Par exemple, une vieille dame qui a reçu une greffe de moelle épinière de sa soeur, avec qui elle était en conflit depuis quarante ans, m’a demandé si elle allait recevoir un bout du mauvais caractère de sa donatrice. Je lui fais comprendre que sa question est légitime, quand quelqu’un lui aurait répondu que sa question est idiote. Ça l’aide dans sa guérison. Si l’esprit va mal, alors le corps va mal. C’est un peu ce que je fais aujourd’hui avec les plantes. »

Dans son petit jardin derrière l’usine, il en cultive une quarantain­e avant de les vendre sur les marchés. Du pourpier qui aurait la vertu de faire baisser le cholestéro­l. Des épices et herbes de Provence pour se faire plaisir. Un brin « borderline », Thierry Faye s’est laissé guider par le destin, a « hissé les voiles sans tenir la barre. Car c’est en faisant confiance à la vie qu’on a la foi. » Lui, en a eu plusieurs. Mais une seule, au final, compte. Celle qui l’a mené là où tout a commencé.

La terre. L’amour. L’entraide.

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Ça l’aide dans la guérison. Si l’esprit va mal, alors le corps va mal.”

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Photos : Clément TIBERGHIEN

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